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encore, conservés par Servius et Charisius, indiquent le caractère particulier des Ligures et des Gaulois'. C'est Caton qui le premier exprima sur ceux-ci le jugement qu'on a si souvent répété depuis sans le lui attribuer :

Pleraque Gallia duas res industriosissime persequitur, rem militarem et argute loqui.

Les deux choses que la Gaule, en général, recherche avec le plus d'ardeur, c'est la science de la guerre et l'art de la parole.

Enfin, nous voyons, par les paroles que Cicéron place dans la bouche du principal interlocuteur de ses dialogues De republica, Scipion Emilien, combien l'auteur des Origines avait apporté d'attention à l'étude des gouvernements : <<< Caton avait coutume de dire que si notre constitution l'emportait sur celle des autres peuples, c'était que chacun de ceux-ci n'avait dù qu'à un seul législateur ses institutions et ses lois, comme la Crète à Minos, Lacédémone à Lycurgue... tandis que la constitution romaine était l'œuvre, non d'un seul génie et d'une seule génération, mais de plusieurs hommes et de plusieurs siècles. Car, ajoutait-il, jamais il n'y avait eu de génie tellement vaste que rien ne lui échappåt, et la réunion même des plus grands esprits ne pourrait, faute d'expérience et de maturité, pourvoir à tout et tout embrasser à la fois. Je vais donc, comme lui, et pour me servir de sa propre expression, rappeler les origines du peuple romain * ».

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L'ouvrage était divisé en sept livres : le premier était consacré à Rome, les deux suivants aux autres villes les plus importantes de l'Italie, et les quatre autres aux peuples qui avaient mené contre Rome les grandes guerres du dernier siècle. C'est ce qui ressort du moins d'une phrase de Cornélius Népos, qui ajoute : « Dans ces livres on trouve

(1) Serv., ad En., XI, 700; Charis., II.

(2) De rep., II, 1.

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beaucoup d'habileté et d'exactitude, beaucoup d'érudition' ».

Le récit que faisait Caton des événements, devait comporter un développement considérable, puisque nous avons vu tout à l'heure par une citation de Tite-Live, qu'il y insérait des harangues tout entières comme celle qu'il avait prononcée lui-même en faveur des Rhodiens. Toutefois de l'insertion de ses propres discours il ne faudrait pas conclure qu'il s'arrêtait de préférence et avec trop de partialité aux faits dont il avait été le témoin ou l'acteur; il parait, au contraire, qu'il lui arrivait rarement de faire l'éloge des personnages en jeu : c'était toujours Rome, la République, la personnification de la patrie qu'il mettait en relief sous la figure des généraux et des magistrats, presque anonymes, dont il citait à peine les noms 2. Quand il accordait une citation particulière, il fallait qu'il s'agît d'une action tout à fait exceptionnelle, et alors il essayait de transmettre à la postérité le nom d'un simple tribun aussi bien que celui d'un général en chef. Nous en avons un exemple dans un morceau remarquable qu'Aulu-Gelle nous a conservé et qui rappelle la belle conduite d'un tribun du nom de Q. Cædicius.

Dans la première guerre punique, le général en chef des Carthaginois, en Sicile, s'avance contre l'armée romaine et réussit à s'emparer des hauteurs et des positions avantageuses. Les Romains forcément s'engagent dans un endroit où ils sont exposés à un désastre. Le tribun Cædicius vient trouver le consul et lui montre la situation critique de l'armée : « Si vous voulez la sauver, ajoute-t-il, il faut à mon avis envoyer tout de suite quatre cents soldats vers cette verrue (verrucam, c'est ainsi que Caton désigne les lieux élevés et d'accès difficile); pendant qu'ils s'y feront tuer,

(1) Corn. Nép., Vie de Caton: comparet, multa doctrina. »

(2) Id.

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Atque horum bellorum duces non nominavit, sed sine nominibus res notavit. »

tout le reste se tirera d'ici... et si vous ne trouvez personne pour ce périlleux coup de main, servez-vous de moi; je fais à mon général et à la République le sacrifice de ma vie. » Alors quatre cents soldats, ayant Cædicius à leur tête, marchent à la mort. Comprenant qu'ils s'avancent pour s'emparer des hauteurs, le général carthaginois détache contre eux toute l'élite de son infanterie et de sa cavalerie; la petite troupe est enveloppée; elle se défend avec opiniâtreté; enfin le nombre l'emporte; les quatre cents soldats tombent percés de coups d'épée ou couverts de traits. Mais, pendant ce temps, le consul se dégage, l'armée romaine. est sauvée. Et Caton termine ce récit dramatique par les paroles suivantes :

Dii immortales tribuno militum fortunam ex virtute ejus dedere. Nam ita evenit: quum saucius multifariam ibi factus esset, tum vulnus capiti nullum evenit: cumque inter mortuos defatigatum vulneribus, atque quod sanguen defluxerat, cognovere, eum sustulere. Isque convaluit: sæpeque post illa operam reipublicæ fortem atque strenuam perhibuit illoque facto, quod illos milites subduxit, exercitum ceterum servavit. Sed idem bene factum quo in loco ponas, nimium interest. Leonidas Lacedæmonius laudatur, qui simile apud Thermopylas fecit. Propter ejus virtutes omnis Græcia gloriam atque gratiam præcipuam claritudinis inclutissimæ decoravere monimentis, signis, statuis, elogiis, historiis, aliisque rebus gratissimum id ejus factum habuere. At tribuno militum parva laus pro factis relicta, qui idem fecerat, atque rem[publicam] servaverat'.

Les dieux immortels donnèrent au tribun un sort digne de sa bravoure. Car voici ce qui arriva couvert de blessures, il n'en reçut aucune à la tête; on le trouva parmi les morts, épuisé par la perte de son sang; on l'emporta; il guérit; et plus d'une fois dans la suite, il rendit encore par son courage de très grands services à la République. Ce jour-là, en conduisant à la colline ces quelques soldats. il avait sauvé tout le reste de l'armée. Mais la gloire d'une belle action dépend beaucoup de l'endroit où on l'accomplit. Le Lacédémonien Léonidas est célèbre pour avoir agi de même aux Thermopyles. La Grèce entière, fière de ses vertus, a immortalisé le souvenir

(1) Aul. Gel.. Noct. Att., III, 7.

de son beau dévouement par des monuments, des colonnes, des statues, des panégyriques, des histoires, par tous les moyens dont elle pouvait témoigner sa reconnaissance. Mais les exploits du tribun militaire n'ont pas eu de retentissement; pourtant il avait fait la même chose que Léonidas et il avait sauvé la République !

Quelle différence entre la manière primitive de Fabius Pictor et ce récit mouvementé qu'accompagnent de judicieuses réflexions! Que de faits intéressants devaient être rapportés de la même façon dans les quatre livres de l'ouvrage qui traitaient plus spécialement des grandes guerres du dernier siècle! Et que de légendes curieuses devaient contenir les trois premiers sur les commencements de Rome et des autres villes de l'Italic! Tout cela est perdu pour nous. Et cette gloire immortelle que Caton semblait envier aux héros de la Grèce, tels que Léonidas, qui avaient eu l'insigne bonheur d'être célébrés par des historiens, des poètes et des artistes de tous genres, il n'a point réussi, comme il y comptait sans doute, à l'assurer par ses écrits à tous les héros romains dont il avait relevé les actions dignes de mémoire! La perte des Origines est sans contredit une de celles qui doivent nous laisser le plus de regrets'.

IX

Il y a lieu de regretter aussi les manuels que Caton avait écrits pour l'éducation et l'instruction de son fils, les préceptes qu'il avait recueillis à son intention, les lettres qu'il lui avait adressées.

On voit dans Plutarque avec quelle attention, avec quelle persévérance il avait rempli tous ses devoirs pater

(1) Pour les fragments des Origines, voir Jordan, ouvr. déjà cité, pp. 3-30; Wagener, Orig. fragm., 1849, 68, p. in-8°; Bormann, Orig. lib. VII... 1858, 48 p in-8°; Peter, Historic. roman. reliquiæ, I, p. 51-94.

nels. Dès la première année, jamais affaire d'ordre privé, fût-elle des plus urgentes, ne l'empêchait de rester auprès de sa femme quand elle lavait et emmaillotait son enfant; et, lorsque celui-ci eut atteint l'àge de raison, il ne le confia point, comme c'était alors la coutume, aux mains d'un esclave; il fut lui-même le maître de grammaire de son fils, lui donna la connaissance du droit, et lui apprit tous les exercices physiques, escrime, équitation, natation, etc. Il lui transcrivit de sa propre main, et en gros caractères, les faits de l'histoire primitive de Rome afin que, dès la maison même, il se pénétrât de l'exemple des anciens Romains1. Plus tard, il rédigea pour lui les traités généralement connus et cités par les anciens sous le nom de Præcepta ou Libri ad filium2 et des règles de conduite, en vers, sous le titre de Carmen de moribus.

Ses soins d'ailleurs ne furent point perdus; le jeune Caton montra les meilleures dispositions; malgré sa complexion débile, il se fit remarquer par sa valeur dans les combats et tout particulièrement dans la fameuse bataille gagnée par Paul-Émile sur Perséc. Caton lui adressa à ce sujet une lettre de félicitations qui existait encore au temps de Plutarque. « Le jeune homme, ajoute l'historien grec, épousa dans la suite Tertia, fille de Paul-Emile; il dut non moins à son propre mérite qu'à la vertu de son père l'honneur de s'allier à une si noble famille. Tel fut

(1) Vie de Caton, 20.

(2) Il est probable que sous cette appellation générale était compris tout ce que Caton avait écrit sur l'agriculture, sur la médecine, sur l'éloquence, sur l'art de la guerre, sur la jurisprudence, bien que parfois chacune de cesparties soit mentionnée sous un titre particulier : De re rustica; De re militari; De oratore, etc. Des lettres de Caton à son fils sont aussi mentionnées par Cicéron De Offic., 1, 11) et par Plutarque (V. de Cat., 20), sans qu'on sache si elles faisaient partie des præcepta. - Quant au Carmen de moribus, il est probable que c'était un ouvrage tout à fait distinct du reste; mais on ne sait au juste de quelle sorte de vers il se composait : Ritschl, Vahlen et Jordan croient reconnaître dans les fragments insignifiants qu'on en a le vers saturnien, Kärcher et Bockh le septénaire trochaïque, et Fleckeisen le sotadique.

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