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CHAPITRE VI

L'opinion publique en matière religieuse. Elle manque au protestantisme; elle fait l'unité du catholicisme. Procédés d'évangélisation missionnaires catholiques et colporteurs protestants. Nullité des résultats du colportage. Protestantisme miné par le rationalisme, pendant qu'il cherche à miner l'Église catholique. Catéchisme rationaliste de l'Église génevoise. gers signalés par le concile du Vatican et Léon XIII.

Dan

J'ai parlé bien longuement de l'unité religieuse. Et cependant je n'ai fait qu'effleurer le sujet ; je ne l'ai considéré qu'en ses côtés extérieurs, c'est-à-dire dans les efforts tentés pour trouver l'unité. Il y a dans tous les esprits une tendance innée à se grouper, à s'unir dans une idée commune. C'est une loi de la nature. De même que la science moderne nous montre les forces physiques de l'univers se réduisant à l'unité de principe, de même les forces intellectuelles, dans leur multiplicité d'action, tendent à reposer sur une base simple qui soit le point de repère et comme la mesure fixe où les idées diverses viennent se confronter et s'éprouver pour reconnaître si elles sont justes. Qu'estce que l'opinion publique, si souveraine en nos temps, sinon cette base commune d'appréciation sur les faits et les idées du jour? Chose étonnante, le protestantisme qui, en démocratisant la société, a tant contribué à fonder le règne de l'opinion dans les choses de la politique et de la vie civile, semble s'être étudié à l'exclure des choses religieuses! Il y a une opinion

publique dans le catholicisme, il n'y en a point dans le protestantisme : c'est pourquoi l'unité religieuse est impossible dans ce dernier.

L'opinion publique catholique, est-il besoin de le dire? n'est point changeante; c'est le fond commun des croyances de toutes les nations et de tous les siècles catholiques. Elle est formée à la fois par Dieu et les hommes. Dieu y met ses révélations, et les peuples y attachent leur esprit. La part de Dieu, dans son immuable fixitė, empêche que la part des hommes ne s'égare; elle ramène sans cesse à l'unité les esprits qui seraient tentés de se livrer à leurs vues particulières, comme le soleil brille toujours au firmament pour rendre la lumière aux regards qui auraient voulu s'y soustraire un instant. L'unité religieuse catholique est le soleil des intelligences; par une harmonie magnifique, les yeux de l'âme peuvent toujours plonger dans un océan indéfectible de lumière, identique pour tous, comme les yeux du corps ont leur océan de lumière propre. Dieu qui a fait les deux grands luminaires pour présider au jour et à la nuit de la nature (Genèse, 1, 16) en a posé de non moins stables pour éclairer les esprits, qui ont aussi leur jour et leur nuit. Ces luminaires intellectuels sont l'unité de la foi religieuse, fondée sur le Christ et son Église.

Donc à tous ceux qui aspirent à l'unité religieuse, le catholicisme seul peut dire : Venez à moi, je possède le trésor que vous cherchez, et je vous le donnerai.

Aussi, remarquez la différence des procédés dans la propagande du catholicisme et celle du protestantisme. Le catholicisme, dès sa première apparition dans un pays, pose un centre d'unité. Il s'affirme immédiatement comme Église. Le missionnaire ne va pas sans

:

son autel et le sacrifice universel. Qu'il s'agisse d'évangéliser nos contrées d'Europe ou les plages sauvages, vous voyez de prime abord l'envoyé de l'Église dresser la croix, ouvrir sa chapelle, célébrer les saints mystères et prêcher comme si déjà sa communauté reliligieuse était fondée. Il parlera devant un petit nombre, comme il parlerait devant une multitude. Il est la voix de l'Église dût-elle retentir dans le désert, elle se fait entendre avec toute sa solennité et son autorité. Un jour saint François de Sales venait prêcher dans l'église des Allinges; il n'y trouva que sept personnes. On le dissuadait de prononcer son discours. « Je suis redevable de l'instruction, dit-il, à un petit troupeau comme à un grand; et quand il n'y aurait qu'une personne qui pût en profiter, c'en serait assez pour m'obliger à prêcher. » Il prêcha donc et prit pour sujet l'invocation des saints et le culte des reliques. Or, il y avait dans l'auditoire le procureur de Thonon, récem ment converti, qui avait promis à un ministre protestant d'abjurer de nouveau le catholicisme, parce que ce ministre avait réussi à lui faire croire que le culte des saints était une idolâtrie. Cet homme, ému tout à la fois de voir le saint prêcher avec tant de zèle devant un si petit auditoire de paysans, et d'entendre une doctrine si belle et si bien justifiée, éclata tout à coup en sanglots, et, après le sermon, expliqua la cause de ses larmes en promettant pour toujours fidélité à l'Église.

L'apôtre missionnaire agit partout ainsi. Le soleil n'attend pas pour luire que tous les yeux soient ouverts; il répand ses flots à l'heure marquée, et sa mission est remplie. L'Église, pouvons-nous dire, apparaît de même comme un lever du soleil; elle prend possession du coin de terre où son envoyé

s'arrête; elle y fait rayonner les flots de sa doctrine, elle est là tout entière, quelque petit que soit le nombre de ses fidèles. Ce qui fait l'Église, en effet, ce n'est pas le nombre des hommes, c'est sa doctrine, son sacrifice, son autorité, son prêtre consacré et uni à JésusChrist. Voilà, pour le remarquer en passant, comment elle est catholique elle occupe par ses stations de missionnaires toute l'étendue des terres, depuis les huttes de la Laponie jusqu'aux dernières îles de l'océan Austral; voilà comment saint Paul pouvait déjà écrire aux Romains (ch. x, 17): « La foi vient par l'audition, par la parole du Christ. Cependant, je le demande : Est-ce qu'on n'a pas entendu? Certes, leur voix (des apôtres) a relenti par toute la terre, et leurs paroles jusqu'aux extrémités de la terre. »

Tout autre est le procédé protestant. Que fait le colporteur missionnaire ? Il n'installe rien. C'est un voyageur qui passe. Il vend ou donne des bibles et va plus loin. A-t-il fondé quelque chose de public, un centre d'existence? Nullement. Les quarante ou cinquante bibles qu'il laisse dans une bourgade n'établissent aucun lien commun entre ceux qui les ont reçues; ils demeurent étrangers les uns aux autres après comme avant, peut être même davantage après. Car, avant de lire cette bible plus ou moins fidèle, ils s'en tenaient à des données élémentaires qui leur faisaient une croyance commune, tandis que l'examen privé va peut-être leur faire trouver dans les textes bibliques des idées qui troubleront toute leur vieille manière de croire et de penser; ils seront désorientés comme des enfants arrachés tout à coup à leur village et jetés sur le pavé d'une grande ville inconnue, où ils ne savent comment diriger leurs pas. Le colporteur

n'a pas prêché, ou s'il a parlé, ce n'est que pour recommander la lecture de la Bible, sans donner le moyen de la comprendre, sans indiquer aucune autorité qui puisse l'expliquer. Le protestantisme, dans ses entreprises d'évangélisation, ne s'affirme point comme Église, comme corps, comme société unie; il n'établit rien qui le représente, qui lui constitue une prise de possession d'un pays; il ne s'adresse qu'à des individus isolés. Là même où il ouvre un temple, comme sur les frontières françaises de Genève, l'action du ministre continue d'être tout entière disséminée au dehors par des visites domiciliaires, par des sollicitations privées, par de petits services matériels; le temple lui offre peut-être une commodité de plus, mais rien que celà: ce n'est pas une force, ce n'est pas même un symbole de quelque chose de fixe et de positif pour les esprits; ceux qui se réunissent dans ce lieu. seront les obligés du ministre à titres divers, ils ne seront pas les membres d'une même communauté unie par un principe fondamental religieux, puisque le principe fondamental du protestantisme, d'après la Société pastorale suisse, n'est que « la liberté illimitée de se déterminer soi-même ». Le temple protestant n'a de signification que là où il est Temple national: alors, en effet, il représente une forme de la puissance publique du pays; hors de là, il ne signifie rien de plus qu'un bâtiment vulgaire. Cela est si vrai que, même dans les pays protestants, les temples des fractions séparées de l'Église nationale, comme les méthodistes, sont déconsidérés et tendent de plus en plus à se transformer en simples salles de conférences comprenant deux ou trois arcades de café, comme on en voit dans divers quartiers de

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