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pas de leurs fautes, puisque nous devons nous réjouir de leur conversion?

« Mais ce n'est pas, croyez-le bien, ce triste spectacle de nos misères révélées qui est la cause des haines qui poursuivent l'Église. Qui jamais jugea l'Océan par l'écume qu'il rejette sur ses bords, ou par les tempêtes qui agitent ses flots? L'Océan n'est pas dans les impurs débris de ses rives, ni dans l'inclémence de ses orages, il est dans la profondeur et l'étendue de ses eaux, dans les chemins qu'il ouvre au commerce de toutes les races, dans la solennité de son repos, dans l'abîme de ses bruits comme dans l'abîme de son silence; et lorsque le matelot, porté sur ses voûtes tranquilles, les voit tout à coup trembler et gronder, il n'accuse pas le Dieu qui a fait cette immensité sublime, il n'accuse que sa faiblesse, et, le front par terre, sur la planche de son navire, il implore l'étoile qui conduit et pacifie tout. Ce ne sont point nos pécheurs qui tournent le monde contre nous, ce sont nos saints. Jésus-Christ était pur quand il a été crucifié; et si, moins heureux que lui, l'Église n'a pas toujours eu dans tous les siens cette transparence divine, son honneur est de ne jamais souffrir que pour la mème cause qui fit mourir son maître '. »

De ce qu'il y a des inconséquences, des oublis, des prévarications chez des catholiques, il n'est point permis d'en rendre responsable la doctrine de leur Église. Il serait juste, au moins, de faire la balance du bien et du mal, et l'on verrait que la somme du bien directement inspiré par la religion est infiniment supérieure à la somme du mal que la sainteté de cette religion

1 LACORDAIRE, Lettres à un jeune homme : OEuvres, t. IX, p. 341.

n'a pu empêcher. De même, chez les protestants, il y a du bien et du mal; mais, dans cette somme de bien, il n'y a rien qui ne pût être produit avec cent fois plus d'abondance par le catholicisme; et il y a des degrés de perfection dans le bien que le protestantisme est incapable de produire. Tout n'est pas nécessairement mal dans les actions des hérétiques : l'Église a condamné comme hérétique la doctrine qui enseignerait cela. Il y a chez nos frères séparés des vies remplies de généreux efforts pour la vertu. Mais ce n'est pas sur des exceptions, ni sur des faits individuels, que doit porter la comparaison entre le catholicisme et le protestantisme. Nous pourrions, en procédant de la sorte, nous adresser réciproquement beaucoup de reproches et beaucoup de louanges, sans faire avancer d'un pas la question de principe. C'est le résultat général qu'il faut considérer, et ce résultat est logiquement lié à sa cause, ainsi que le proclame le Sauveur Jésus (MATTH., VII, 18): «Cueillet-on des raisins sur des épines, ou des figues sur des ronces?... Un arbre bon ne peut produire de mauvais fruits, ni un arbre mauvais produire de bons fruits. »

C'est donc la nature même de l'arbre, c'est-à-dire de la doctrine, qu'il faut examiner, comparer; et l'on est assuré que, tôt ou tard, la force des principes triomphe des circonstances et fait une société à l'effigie des croyances dont elle est nourrie. M. le ministre professeur Bois a touché ce point dans ses conférences de Montauban, et il a victorieusement résolu l'objection.

« Voici des hommes, dit-il, qui croient avoir trouvé le moyen de sauvegarder les droits de la liberté, et, en même temps, les bienfaits de l'union; ce moyen, c'est de rejeter toute confession de foi, et d'instituer le droit le plus entier pour toutes les doctrines de se pro

duire au sein de l'Église chrétienne. Ils disent: La vie chrétienne est indépendante des formules de la théologie et des événements de l'histoire, elle est chose essentiellement morale et spirituelle. On peut professer une doctrine irréprochable et se montrer un vrai païen dans sa conduite; et l'on peut, au contraire, rester dans le doute ou dans l'erreur sur des parties même considérables de la doctrine et n'en être pas moins chrétien par le cœur et par la vie. Ne voit-on pas aujourd'hui, dans notre protestantisme, bien des personnes vivre de la même piété sans avoir du tout la même dogmatique? L'essentiel n'est donc pas de croire ceci ou autre chose, mais de vivre pieusement, chrétiennement; et, quand on fonde une Église, l'essentiel n'est pas de garantir au milieu d'elle, par des parchemins, l'enseignement d'une doctrine plutôt que d'une autre, mais d'y entretenir la vie de l'esprit.

« Il y aurait bien des réserves à faire sur ces observations, qui sont vraies dans certaines limites, et qui deviennent tout à fait fausses dès qu'on veut les généraliser et les pousser à l'absolu. Ainsi, jamais on ne verra, quoi qu'on en dise, des personnes ayant des dogmatiques entièrement différentes posséder une piété entièrement pareille... Supposez un homme qui se passe de la médiation et du sacrifice de Jésus-Christ, je vous certifie que sa piété aura un tout autre caractère que la piété de cet autre qui fait reposer sa sécurité sur la croix expiatoire.

« Non, on ne saurait soutenir d'une manière générale que la piété et la sainteté soient absolument indépendantes des croyances; ce ne serait pas alors constater des faits isolés, singuliers, anormaux, qui se présentent çà et là, mais établir une loi fausse de tous

points. Il n'est pas possible que ce que l'on pense et croit n'ait aucune action sur ce que l'on fait et sent. L'entreprise de diviser l'homme en un certain nombre de domaines tout à fait distincts et séparés, sans correspondance et sans action réciproque, est chimérique; elle ne saurait se soutenir ni devant le tribunal de la raison, ni devant celui du bon sens. De ce que l'on peut constater des inconséquences, signaler des faits exceptionnels, on ne saurait conclure contre la règle : or, la règle, c'est que l'homme est un, et tout se tient en lui. Si tel individu présente une solution de continuité entre sa raison et son cœur ou sa volonté; et si tel autre fournit l'exemple d'une correspondance mal établie entre les diverses parties de son être, ce sont là des anomalies qui ne sauraient faire loi, des irrégularités qui ne sauraient constituer le droit. Qu'on laisse ces croyances se généraliser, l'histoire tirera les conséquences que l'individu a laissées dormir, et l'on verra bientôt la logique régner partout, chaque doctrine engendrer l'état d'âme et les décisions de volonté auxquels elle correspond...

« Vous pourrez trouver, en cherchant bien, tel homme qui ne croit pas réellement à l'exaucement des prières, et qui prie néanmoins avec ferveur, avec constance; d'abord il est certain que sa prière est autre que celle de l'homme persuadé que Dieu donne à qui demande; ensuite, qui doutera sérieusement que sa manière de voir, devenant générale, ne finisse par éteindre dans les âmes l'esprit de prière? Ce n'est pas à cause de leur doctrine, mais malgré leur doctrine, que ces hommes-là prient. D'autres viendront qui, plus logiques et plus débarrassés des influences d'une éducation première, mettront d'accord leur raison et leur

cœur, et, en vertu de leur croyance, ne prieront plus. Se figure-t-on, en vérité, que mes impressions sur le péché seront exactement les mêmes, si je le considère comme une phase nécessaire de mon développement ou comme une révolte criminelle? Peut-on bien être persuadé que mon attitude devant Jésus-Christ sera la même, que je voie en lui un homme imparfait, pécheur et faillible, ou que je contemple en lui le Verbe incarné, le Fils de Dieu fait homme pour expier mes péchés? Non, non, cela est impossible. En vérité j'ai quelque confusion à insister sur ces évidences. Il est certain que la croyance ne saurait être indifférente; elle peut être d'une importance capitale pour la vie religieuse de l'individu; mais quand il s'agit d'une société qui s'organise et qui doit durer, c'est bien autre chose encore. Nul ne saurait soutenir qu'il importe peu à l'intérêt spirituel des âmes que l'on prêche cette croyance ou une autre sur la prière, sur le péché, sur Jésus-Christ, sur Dieu '. »

Voilà la théorie très-bien exposée par un ministre protestant. Voulons-nous maintenant prendre une idée générale de l'application pratique? C'est un illustre protestant converti qui nous la donnera, le cardinal Newman. Dans l'une de ses conférences prononcées à l'Oratoire de Londres, il établit que « la sainteté est le critérium du principe chrétien ». Après avoir fait le tableau de ce que peut être une vie dirigée seulement par les lumières naturelles de la raison, comparables à la vacillante clarté de la lampe des mineurs dans leurs puits, il s'écrie :

1

« Mais quel changement s'opère dans l'esprit des

Évangile et Liberté, p. Ch. Bors, p. 271 et suiv.

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