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sonnelle, l'intérêt premier de l'âme. Il servirait de peu à l'homme de voir une société parfaitement organisée, heureuse et sage, s'il se prépare à lui-même un malheur éternel. Néanmoins il arrive que même ceux qui négligent la religion pour leur propre compte sentent la nécessité de la mettre en honneur dans la société. C'est ce point de vue que développe un publiciste français déjà cité :

« Jamais l'importance civile de la religion n'a été plus sensible qu'aujourd'hui. En tout pays, la richesse s'accroît de telle façon qu'on s'en effraye, et non pas sans raison. De soi la richesse est indifférente; c'est un instrument pour le bien comme pour le mal. Si l'on en use dans un esprit chrétien pour moraliser l'industrie, pour soulager d'incurables misères, pour répandre à pleines mains l'éducation et le travail, la prospérité publique est un bienfait. Mais si la religion ne sert pas de contre-poids à l'argent, si l'on s'abandonne à la facilité des jouissances matérielles, si l'on ne fait qu'abaisser et corrompre les âmes en allumant partout la soif du luxe et la fureur du jeu, si enfin, en irritant la passion du riche et la fureur du pauvre, la fortune remue ce fonds sauvage que chacun a dans le cœur, alors toute cette richesse n'est qu'une malédiction, et le châtiment est prochain.

<< On voit quelle est la grandeur du problème, il ne faut pas craindre de l'envisager..... Notre devise en ce point est celle de Goethe. Toute erreur est un mal qui s'accroît par la durée « Ne nous lassons pas de combattre l'erreur, car elle ne se lasse pas d'agir'. Toutefois, le combat contre l'erreur n'est pas le

1 E. LABOULAYE, la Liberté religieuse, p. 78.

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combat contre ceux qui sont dans l'erreur. La règle de S. Augustin: « Détruisez l'erreur, mais aimez les hommes!» sera le guide constant de ma pensée dans ces pages. Le sujet est grave; il sera traité sans autre recherche que celle de la vérité.

M. de Pressensé dit quelque part : « La peur des questions sérieuses est une forme de l'incrédulité. » J'espère qu'une telle peur n'arrêtera personne à l'entrée ou à mi-chemin de ce livre.

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CHAPITRE II

État actuel du protestantisme à Genève, en Angleterre, en Suède et Norwége, en Allemagne et en France. Divisions irréconciliables entre orthodoxes et libéraux; déclarations des uns et des autres. Immortalité conditionnelle.

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Principe essentiel du protestantisme d'après la Société pastorale suisse. · Conversions de ministres anglicans et de théologiens luthériens. Décadence avouée du protestantisme. Crainte exprimée par les ministres de voir leurs adhérents passer au catholicisme. Vain espoir d'un avenir meilleur.

Bien des protestants soupçonnent les catholiques de les considérer avec hauteur et dédain. C'est une opinion dont j'ai eu souvent les échos; elle se rencontre surtout chez les personnes qui suivent les polémiques religieuses. En voyant les écrivains catholiques mettre en relief les inconséquences et les luttes intestines du protestantisme, elles s'imaginent qu'ils poursuivent le méchant plaisir de vouloir bafouer un adversaire. C'est une grande erreur. Si un accent d'âpreté éclate parfois dans un écrit, il s'adresse à la doctrine; il ne vise ni n'atteint les personnes. Nous disons avec saint Paul (II° aux Cor., v, 13) : « Si nous sommes emportés comme hors de nous-mêmes, c'est pour Dieu; si nous sommes plus retenus, c'est pour vous, parce que la charité de Dieu nous presse. » Vinet, l'un des ministres les plus découragés de ce siècle, a pu dire que le protestantisme n'est plus une religion :

« Il y a des protestants, il n'y a plus de protestan

tisme. Cela suffit pour nous. Il y a des protestants; il y en a des millions, il y en a des nations! Voilà le fait devant lequel nous ne saurions rester indifférents. Lorsque le Sauveur, du haut de la colline des Oliviers, considérait cette Jérusalem, au sein de laquelle s'agitaient tant d'hostilités, il versait des larmes. Quiconque a l'esprit de Jésus-Christ ressent quelque chose de la douleur du divin Maître en voyant les multitudes éloignées de lui.

Nous n'avons rien à gagner aux vicissitudes du protestantisme. S'il devient libéral, ce n'est pas pour se rapprocher de l'Évangile; s'il est orthodoxe, cela ne suffit pas pour le placer dans l'Église de Jésus-Christ. Quelque nuance qu'il affecte, il est toujours hors du bercail du divin pasteur des âmes. Et pourtant ce sont des âmes que Jésus-Christ voulait sauver aussi bien que les nôtres. Aurions-nous donc la cruauté de nous réjouir de leurs incertitudes, de leurs dissensions en matière si grave? Ah! non. Ce n'est pas ainsi que le catholicisme forme les cœurs. Demandez plutôt si nous nous réjouirions des fléaux de la famine qui désoleraient un peuple même lointain, comme cela se passait aux Indes il y a peu d'années! La famine des âmes, privées de la vérité qui sauve, nous toucherait-elle moins que la famine des corps? « L'Évangile », a fort bien dit M. Laboulaye, « en nous montrant une âme « immortelle dans le corps le plus misérable, nous apprend à ménager la faiblesse, à secourir la misère, « et surtout la plus affreuse de toutes, la misère mo« rale'. » Et si la main qui veut soulager cette misère

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1 Essai sur la manifestation des convictions religieuses, p. 484. 2 La Liberté religieuse, Préface, p. xxii.

n'était pas comprise, j'emprunterais encore, en leur donnant une plus juste application, les paroles écrites par M. E. Schérer dans la préface de son dernier ouvrage qu'il appelle son testament : « Plus ils ont été << douloureux, ces tâtonnements vers l'idéal, plus les ແ générations ont trébuché dans les ténèbres, plus leurs « pas ont glissé dans les larmes et le sang, plus elles « ont droit à une commisération attendrie. Ce qui ne « veut pas dire au moins que je rétracte ce que je disais «< tout à l'heure d'un peu vif sur le genre humain'.

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La célébration des centenaires a produit un rapprochement momentané entre ces frères séparés de nous et séparés entre eux. Mais cet accord même est un nouveau désaveu de l'Évangile. Les libéraux nient absolument la divinité de Jésus-Christ; les orthodoxes font ce qu'ils peuvent pour la défendre. Et voilà cependant qu'ils acceptent de passer tous, sans distinction, pour disciples du même Évangile! Le dogme de la divinité de Jésus-Christ ne leur paraît qu'une nuance de peu de valeur y croire ou n'y pas croire n'empêche point d'être également bon protestant, de se proclamer vrai fils de la vraie Réforme! Une entente pareille n'est-elle pas la consécration solennelle du déchirement de l'Évangile? Que restera-t-il encore de sacré dans ces pages, si la majesté même de Celui qui les a dictées en est arrachée?

Le reniement de saint Pierre, causé par la peur, fut sans doute bien amer au cœur de Jésus, mais, ce lui. eût été une douleur mille fois plus poignante de voir saint Pierre et les autres apôtres se réjouir publiquement avec ceux mêmes qui le souffletaient et le ba

1 Études sur la littérature contemporaine, t. VIII (1886).

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