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d'en voir immédiatement les lignes gracieuses et pures. Leur action funeste s'exerce donc sur les esprits irréfléchis, en ce sens que la vérité, entravée par cet écran artificiel, ne peut pas faire pénétrer jusqu'à eux son rayon naturel de lumière et de chaleur qui ne touche jamais une âme sans y laisser une heureuse empreinte. Loin de moi la pensée d'atténuer le mal que cause tout ce pêle-mêle d'accusations déclamatoires! C'est là que se nourrissent ces aversions invétérées qui font repousser d'avance, et sans examen, des vérités et des institutions dont on a pris le travestissement pour la réalité. C'est là que s'enracinent ces partis pris que le langage populaire traduit par son proverbe de dépit : « Il n'y a pas de pire aveugle que celui qui ne veut pas voir », mais que j'aime mieux traduire par la plainte profonde du Prophète : « La terre a été comblée de désolation, parce qu'il n'est personne qui réfléchisse en son cœur. » (JÉRÉMIE, XII, 11.) Qui pourrait compter et assez pleurer le nombre de ces âmes égarées, perdues, parce que, à force d'entendre vilipender l'Église, elles se sont fait une espèce de bonne foi de la considérer comme la Babylone des erreurs et des vices, à laquelle il ne peut rien y avoir de bon à demander! Celui que l'Écriture appelle le père du mensonge est aussi celui qu'elle appelle « homicide dès le commencement » (SAINT JEAN, VIII, 44); son arme redoutable pour éloigner les générations humaines de l'arche sainte du salut est l'arme de la calomnie et du mensonge. Cette arme a le don particulier de tuer pour ainsi dire par hécatombes ceux qui ne la regardent pas de près, tandis qu'elle ne peut blesser ceux qui la saisissent pour l'examiner; mais ceux qui ne réfléchissent point étant toujours la multitude, il arrive que ses victimes sont innombrables.

Quel est, par exemple, l'esprit sérieux qui se laisserait embarrasser par les événements de la Saint-Barthélemy et de la révocation de l'édit de Nantes, ou par les récits de l'Inquisition? Les derniers travaux historiques, et particulièrement les découvertes faites aux archives de Simancas, ont établi que le fait de la SaintBarthélemy est tout politique et tout accidentel, c'està-dire sans préméditation. Ce ne fut qu'un incident déplorable des longues guerres religieuses suscitées en France par la naissance d'un parti protestant. La responsabilité, de quelque manière qu'on la juge, en retombe exclusivement sur la reine Catherine de Médicis et sur la faiblesse de Charles IX. La cause catholique n'avait nullement besoin et ne se serait jamais servie d'un tel massacre pour se soutenir; elle était très-bien et très-loyalement défendue par le parti catholique, dont la force et le courage ne se démenti rent jamais jusqu'à la conversion de Henri IV. Il reste, il est vrai, l'objection du Te Deum que le pape Grégoire XIII fit chanter à Saint-Pierre. Mais qui ne sait que ce Te Deum fut dû à une dépêche précipitée annonçant au Pape que le roi de France et sa famille venaient d'échapper à une tentative de meurtre ourdie par les huguenots, et que les assassins avaient été punis? Il ne faut donc pas juger par cette première surprise de ce que l'Église pense de la Saint-Barthélemy; il faut s'en rapporter à son jugement définitif et éclairé par les dernières informations. Or, aujourd'hui, l'Église enveloppe la Saint-Barthélemy dans le même jugement absolu par lequel elle condamne tous les piéges de mauvaise foi et l'effusion du sang humain hors des voies régulières de la justice pénale ou de la guerre juste. Et tous les historiens catholiques, en

faisant la part des circonstances atténuantes tirées de la surexcitation des partis, blament ce coup d'Etat d'une reine d'origine étrangère qui ternit les annales de la France, de même que les vrais historiens protestants, à la suite de Ranke, s'accordent à mettre l'Église et le Saint-Siége à l'abri de tout reproche à ce sujet'. Nous voudrions que le protestantisme fût aussi irrẻprochable dans les Michelades de Nimes et la SaintBarthélemy du Béarn (24 août 1569).

Il convient, en outre, de se garder des exagérations qui ont cours sur le nombre des victimes de la SaintBarthélemy, comme sur celui des émigrés de la révocation de l'édit de Nantes. Henri IV, par l'édit de Nantes, avait fait des protestants français un État dans l'État, et, comme le dit Rohrbacher, « une république génevoise dans le Royaume Très-Chrétien », avec des villes et des gouvernements à eux. Usèrent-ils sagement d'un privilège si considérable? L'histoire met à leur charge les intrigues les plus graves avec l'étranger, si bien que le protestant Grotius les avertissait en ces termes du danger auquel ils s'exposaient : «Que ceux qui prennent le nom de réformés n'oublient point que ces édits ne sont pas des traités d'alliance, mais de pures déclarations des rois qui les ont portés en vue du bien public, et qui pourront les révoquer si le bien public le demande. » Louis XIV travailla pendant vingt ans à les convertir; s'il y joignit quelques voies de rigueur, elles furent provoquées par des rassemblements armés de huguenots dans le Poitou, la Saintonge, la Guyenne, le Languedoc et le

1 Voir les Luttes religieuses en France au seizième siècle, par le vicomte DE MEAUX (Paris, Plon, 1879), p. 141.

Dauphiné; mais les missionnaires tels que Fénelon, les abbés de Langeron et Fleury, dans le Poitou, ne voulaient gagner les populations que par l'instruction et la douceur'. Au moment de la révocation de l'édit de Nantes, des villes et des provinces entières avaient abjuré librement l'hérésie; le Roi put croire qu'il ne lui restait qu'à constater plutôt qu'à décréter la ruine définitive du protestantisme. Ce qu'il fit, il le décida de sa pleine autorité royale, sans consulter le Souverain

1 Dareste, dans son Histoire de France (Paris, Plon) deux fois couronnée du grand prix Gobert par l'Académie française, reconnaît que le clergé n'eut recours qu'à l'apostolat évangélique. Il dit (t. V, p. 537):

On s'attachait alors à ramener les dissidents en les éclairant. Ce système eut pour résultat un certain nombre de conversions, dont plusieurs furent éclatantes. Bossuet convertit Turenne en 1668. Le duc d'York, élève et ami de Turenne, abjura l'anglicanisme l'année suivante. Les premières conversions furent donc le fruit de la discussion libre; on les dut au zèle, à la science des évêques, et au progrès des sentiments religieux, élevés et épurés dans les classes instruites. »

Quant aux marques d'approbation que le clergé put donner après la révocation de l'édit, le même auteur les apprécie ainsi (t. V, p. 561) :

« On était tellement habitué à louer le Roi, qu'il ne faudrait pas, en rappelant ces éloges hyperboliques, s'en exagérer la valeur. Si le souvenir des anciennes guerres civiles assurait des applaudissements au rétablissement de l'unité, les partisans, les auteurs même de la révocation n'avaient pas une foi complète dans son succès. Le clergé faisait beaucoup de plaintes de l'emploi des mesures administratives, judiciaires ou militaires auxquelles recouraient les agents du Roi. Il voyait de mauvais œil qu'on lui eût enlevé la direction d'une œuvre qui devait lui appartenir, pour en altérer essentiellement le caractère. »

Comment Louis XIV fut amené aux mesures de rigueur, le duc de Saint-Simon l'explique par la faute des protestants (Écrits inė– dits, t. I, p. 122):

« Les huguenots n'étaient pas aisés à gouverner... Ils avaient

Pontife, avec lequel il avait, précisément à cette date, des démêlés fort vifs. Ainsi, quoi que l'on pense de la révocation de l'édit de Nantes, il n'est pas possible d'en faire un grief à l'Église c'est ce que démontre un récent ouvrage de M. Léon Aubineau. Quant à Louis XIV, arrêtons-nous aux sages paroles de cet auteur, en sa préface1:

:

« On ne peut nier que le devoir des rois ne soit comme celui des fidèles d'aimer et de servir Dieu et son Église de toute leur âme et de toutes leurs forces.

leurs ligueurs, leur appui des protestants de toute l'Europe, avec qui Henri IV avait un si puissant intérêt de ne pas se brouiller. Ils avaient des factieux qui ne respiraient qu'un renouvellement de prise d'armes, et des chefs tels que le maréchal de Bouillon, qui soufflaient le zèle et le feu pour se mettre à découvert à la tête du parti, traiter ainsi avec le Roi de couronne à couronne, et dont le but particulier était de mettre le parti sous la protection d'un souverain protestant, dont Bouillon serait lieutenant général, exercerait toute son autorité, l'aurait en croupe, lui et les autres protestants, ferait ainsi un État dans l'État, et deviendrait en quelque sorte égal au Roi... Aussi n'y eut-il rien que Bouillon ne fit pour empêcher l'édit de Nantes et irriter les huguenots sur tous les points. » N'ayant pu empêcher l'édit », ils le violèrent. Voltaire donne également tort aux protestants. Il dit (Siècle de Louis XIV, t. II, p. 122, édit. Didot) :

« Le duc de Bouillon, et surtout le duc de Rohan, le chef le plus accrédité des huguenots, précipitèrent bientôt dans la révolte l'esprit remuant des prédicants et le zèle aveugle des peuples. L'assemblée générale du parti osa, dès 1615, présenter à la cour un cahier par lequel, entre autres articles injurieux, elle demandait qu'on réformât le conseil du Roi. Ils prirent les armes en quelques endroits dès l'an 1606. »

Le même auteur dit (p. 138) qu'ils étaient échauffés par les fameux prophètes, dont on compta jusqu'à huit mille dans le Languedoc, et qu'on leur faisait toucher de l'argent par la voie de Genève » (p. 144).

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1 De la révocatian de l'édit de Nantes, par L. AUBINEAU (Palmé, 1879).

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