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C'est la définition du catéchisme. Jusqu'où vont les forces d'un roi? Dans cette délimitation précise, consiste le vrai tempérament politique que le souverain doit apporter à l'accomplissement de son devoir. L'Église ne demande jamais l'impossible à ses enfants. Les lumières de la raison, les préceptes de la sagesse, les conseils de la conscience, les clartés aussi et les puissances que confère l'onction sainte doivent diriger ceux à qui la Providence a confié le gouvernement des peuples. Le roi Louis XIV, en voulant remplir son devoir de Roi Très-Chrétien envers les protestants, at-il dépassé les limites du possible, du droit par conséquent, et de la sagesse ? C'est une question délicate peut-être, qui doit être traitée avec beaucoup d'application et de recherches, mais de la solution de laquelle il faut écarter absolument les exagérations et les diatribes que l'histoire, les académies et les journalistes ont voulu jusqu'ici écouter uniquement. »>

L'Inquisition était un tribunal établi autrefois dans quelques pays de la chrétienté par le concours de l'autorité ecclésiastique et de l'autorité civile, pour la recherche et la répression des actes qui tendent au renversement de la religion. Il faut distinguer immėdiatement l'Inquisition romaine de l'Inquisition espagnole. Suivant la juste remarque de Balmès, l'usage que Rome fit de l'Inquisition est la meilleure apologie que l'on puisse opposer à ceux qui voudraient la qualifier de barbare et de sanguinaire. Quant à l'Espagne, Llorente lui-même, l'historien si passionné de l'Inquisition, reconnaît que les pontifes romains firent tous leurs efforts pour adoucir la sévérité des tribunaux et protestèrent contre les excès de Torquemada. Lorsque Charles V et Philippe II essayèrent d'importer leur tri

bunal dans les villes d'Italie, les papes encouragèrent les Italiens à la résistance: Paul III soutint les Napolitains, et Pie IV les Milanais. Sixte IV aurait voulu adoucir les procédés de la même Inquisition; Léon X la désapprouvait. Dans le principe, ce n'était que la nation espagnole qui se défendait elle-même contre les Maures; les auto-da-fé n'étaient le plus souvent que des actes de réconciliation publique avec l'Église. Plus tard l'Inquisition devint une arme dans les mains de l'absolutisme politique; aussi Pombal, le proscripteur des Jésuites, en désirait-il le rétablissement. Ajoutons encore que la cause de beaucoup de crimes autres que l'hérésie était portée au tribunal de l'Inquisition. Dans ce mélange de personnes, de choses et de conditions différentes, et à la distance séculaire qui nous en sépare, il ne faut pas vouloir tout embrasser dans un jugement unique et absolu. Les divers cas mériteraient tout au moins d'être examinés avec autant de précaution par l'historien qu'ils l'étaient alors par les tribunaux. Ce serait une inquisition à rebours et une injustice que d'innocenter systématiquement tous les condamnés et de condamner en bloc tous leurs juges. Mais ce travail de révision des procès n'est pas à la portée de tout le monde; quiconque ne l'a pas fait soi-même doit s'en tenir aux appréciations des hommes sages qui ont étudié de près la question; et, à ce titre, les pages suivantes du Père Lacordaire obtiendront l'assentiment de tous les lecteurs :

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L'Inquisition ne consiste pas dans les lois pénales établies contre la profession publique d'hérésie, et, en général, contre les actes extérieurs destructifs de la religion. Depuis mille ans, des lois semblables étaient en vigueur dans la société chrétienne. Constantin et

ses successeurs en avaient publié un grand nombre qu'on peut lire dans le Code Théodosien, toutes appuyées sur cette maxime que, la religion étant le premier bien des peuples, les peuples ont droit de la placer sous la même protection que les biens, la vie et l'honneur des citoyens. Je n'examine pas la valeur de cette maxime, je ne fais que l'énoncer...

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Jusqu'à la fin du douzième siècle, les attentats religieux étaient poursuivis et jugés par les magistrats ordinaires. L'Église frappait une doctrine d'anathème : ceux qui la propageaient opiniâtrément dans les assemblées publiques ou secrètes, au moyen d'écrits ou de prédications, étaient recherchés et condamnés par les tribunaux de droit commun. Tout au plus l'Église intervenait-elle quelquefois dans la procédure par voie de plainte. Mais, à côté de ce fait social de la répression des hérétiques, se développait un autre élément d'origine toute chrétienne, l'élément de la douceur à l'égard des criminels, et surtout à l'égard des criminels d'idées. Tous les chrétiens étaient convaincus que la foi est un acte libre, dont la persuasion et la grâce sont la source unique; tous disaient avec saint Athanase : « Le pro<< pre d'une religion d'amour est de persuader, non de «< contraindre 1. » Mais ils n'étaient pas d'accord sur le degré de liberté qu'il fallait accorder à l'erreur. Cette seconde question leur paraissait toute différente de la première; car autre chose est de ne pas violenter les consciences, autre chose de les abandonner à l'action arbitraire d'une force intellectuelle mauvaise... Saint Augustin, qui avait appartenu d'abord à l'école de la liberté absolue, passa plus tard à l'école opposée. Les

1 Lettre aux solitaires.

fureurs des donatistes d'Afrique contre l'Église en furent la cause. Il crut être redevable à l'expérience de deux vérités que la méditation de l'Évangile ne lui avait point apprises, savoir: que l'erreur est essentiellement persécutrice, et n'accorde jamais à la vérité que le moins de liberté possible; et, en second lieu, qu'il y a une oppression des intelligences faibles par les intelligences fortes, comme il y a une oppression des corps débiles par les corps robustes. D'où il concluait que la répression de l'erreur est une défense légitime contre deux tyrannies, la tyrannie de la persécution et la tyrannie de la séduction.

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« Néanmoins, cette seconde école était travaillée comme la première, quoiqu'à un moindre degré, par le besoin ineffaçable de la mansuétude chrétienne, et saint Augustin écrivait à Donat, proconsul d'Afrique, ces paroles bien remarquables, au sujet des hérétiques les plus atroces qui furent jamais : « Nous désirons qu'ils soient corrigés, mais non mis à mort; qu'on « ne néglige pas à leur égard une répression discipli« naire, mais aussi qu'on ne les livre pas aux supplices qu'ils ont mérités... Si vous ôtez la vie à ces hommes « pour leurs crimes, vous nous détournerez de porter à « votre tribunal des causes semblables, et alors l'au« dace de nos ennemis, portée à son comble, achèvera « notre ruine, par la nécessité où vous nous aurez << mis d'aimer mieux mourir de leurs mains que de « les déférer à votre jugement. » (CXXVII lettre.)

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« On voit donc l'Église placée dans cette question entre deux extrémités, la liberté absolue de l'erreur, ou sa poursuite à outrance par le glaive inexorable de la loi civile. Quelques-uns de ses docteurs penchent pour le premier parti, aucun pour le second : quelques

uns pour la douceur sans bornes, aucun pour la pénalité impassible et illimitée. L'Église est crucifiée là entre deux appréhensions également terribles. Si elle laisse à l'erreur toute latitude, elle craint l'oppression de ses enfants; si elle réprime l'erreur par l'épée de l'évêque du dehors, elle craint d'opprimer elle-même : il y a du sang partout...

« Dès que l'Église le put, elle songea sérieusement à sortir de cette situation. Le pontificat conçut un dessein dont le dix-neuvième siècle se glorifie beaucoup, mais dont les papes s'occupaient déjà il y a six cents ans, celui d'un système pénitentiaire. Il n'y avait pour les fautes des hommes que deux sortes de tribunaux en vigueur, les tribunaux civils et les tribunaux de la pénitence chrétienne. L'inconvénient de ceux-ci était de n'atteindre que les pécheurs apportant l'aveu de leurs crimes; l'inconvénient de ceux-là, qui avaient la force en main, était de ne posséder aucune puissance sur le cœur des coupables, de les frapper d'une vindicte sans miséricorde, d'une plaie extérieure incapable de guérir la plaie intérieure. Entre ces deux tribunaux les papes voulurent établir un tribunal intermédiaire, un tribunal de juste milieu, un tribunal qui pût pardonner, modifier la peine même prononcée, engendrer le remords dans le criminel, et faire suivre pas à pas le remords par la bonté; un tribunal qui changeât le supplice en pénitence, l'échafaud en éducation, et n'abandonnât ses justiciables au bras fatal de la justice humaine qu'à la dernière extrémité : ce tribunal exécrable, c'est l'Inquisition; non pas l'Inquisition espagnole, corrompue par le despotisme des rois d'Espagne et par le caractère particulier de cette nation, mais l'Inquisition telle que les papes l'avaient

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