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les luttes s'y succèdent, s'y aggravent. C'est d'un côté la controverse syncrétiste, de l'autre celles de Cocceius et d'Amyraut, sans compter encore les sanglantes guerres de religion dont l'Angleterre fut le théâtre. Les mêmes générations qui ont vu successivement un Philippe II, un Ferdinand II, un Louis XIV, entreprendre une guerre à mort contre le protestantisme comme tel, nous offrent le spectacle des Églises protestantes se déchirant entre elles et se faisant une guerre dont les champs de bataille le cèdent à peine en horreur à ceux de la guerre de Trente ans '. »

De tout cela, M. Nippold conclut, d'une part, que «les Jésuites pourront trouver leur meilleur allié dans la haine que les protestants se portaient les uns aux autres»; d'autre part, que a tous les systèmes orthodoxes protestants se sont chargés de se réfuter mutuellement ». On ne voit pas pourquoi l'auteur veut borner cette conclusion aux «< systèmes orthodoxes ». Les libéraux n'ont pas négligé de porter leurs coups dans ces guerres fratricides; et, s'ils pouvaient se croire coupables de quelque tiédeur dans le passé, ils l'auraient bien réparée de nos jours par leur attitude si redoutable à l'égard des catholiques de l'Allemagne et de la Suisse. Mais restons encore un instant dans les souvenirs du passé, avec un auteur qui a parfaitement justifié la conduite de l'Église à ces époques éloignées. Louis XIV n'a fait qu'appliquer aux protestants le nouveau droit créé par eux-mêmes au traité de Westphalie, droit contre lequel le Pape avait protesté; or M. Dællinger, prenant là son point de départ, répond ainsi aux objections : « Rome doit retirer sa protestation contre la paix de

1 Revue de théologie et de philosophie, 1882, p. 58.

Westphalie. Cette protestation est en effet un thème favori qui est régulièrement développé toutes les fois qu'on attaque, en Allemagne, le Saint-Siége ou l'Église catholique. En 1848, cette protestation me fut présentée, dans les Chambres bavaroises, comme un argument décisif. Il n'y a pas longtemps, dans les Chambres prussiennes, M. de Gerlach a combattu une proposition des députés catholiques, dont il reconnaissait la justice, en rappelant cette protestation. On ne trouvera donc pas mauvais que j'expose nettement le véritable état de la question et que je prenne les choses d'un peu haut. Je dois d'abord faire un aveu qui paraîtra un paradoxe. Je me réjouis qu'au dix-septième siècle un homme se soit rencontré en Europe pour faire entendre contre cette paix de Westphalie une protestation, au nom de Dieu et de la conscience chrétienne, et que cet homme ait été précisément celui qui était revêtu du ministère ecclésiastique le plus élevé. Car si le Pape a protesté, ce n'était point assurément parce qu'il ne voulait aucune paix équitable entre les catholiques et les protestants, l'histoire a démontré le contraire, mais parce que c'était pour lui un devoir impérieux de protester contre un principe profondément immoral et antichrétien, qui a servi de base à toutes les stipulations religieuses contenues dans ce traité de paix. Je veux parler du système territorial, ou du principe : Cujus est regio, illius religio, celui qui est le maître d'un pays est aussi le maître de la religion de ce pays. Malheureusement, il y a eu des théologiens et des juristes allemands qui ont enseigné cette doctrine, dont le monde chrétien jusqu'alors n'avait jamais entendu parler, et d'après laquelle les princes ont le droit de changer, suivant leur bon plaisir, la religion

de leurs sujets, de faire protestants les catholiques, de faire calvinistes les luthériens, et réciproquement. On sait comment les princes ont volontiers fait usage de cette nouvelle doctrine. Dans l'état politique du moyen âge, il y avait aussi une contrainte religieuse; mais combien elle était différente, soit en pratique, soit en théorie, de la contrainte nouvelle ! Les rois et les peuples étaient alors membres de l'Église catholique, hors de laquelle aucune autre Église n'existait. Tous étaient d'accord pour admettre que l'État, dans son union étroite avec l'Église, ne pouvait pas en tolérer la ruine, qu'il ne devait laisser se former aucune nouvelle religion, que chaque essai de ce genre était un attentat contre l'ordre social établi. Toute doctrine hérétique qui se produisait, au moyen âge, présentait, ou formellement ou par une nécessaire conséquence, un caractère révolutionnaire : c'est-à-dire qu'elle devait produire, si elle parvenait à la domination, une destruction de l'ordre public qui existait alors, un bouleversement politique et social. Ces sectes gnostiques, les Cathares et les Albigeois, qui firent formuler spécialement la dure et inexorable législation du moyen âge contre l'hérésie, et dont il fallut triompher dans des batailles sanglantes, étaient les socialistes et communistes de cette époque. Ils attaquaient le mariage, la famille, la propriété. S'ils eussent vaincu, une catastrophe universelle, un retour vers la barbarie, vers l'anarchie et la licence païenne eussent été la conséquence de leur victoire. Les Vaudois, pareillement, avec leurs principes sur le serment et sur le droit de punition de la puissance séculière, auraient complétement bouleversé la société telle qu'elle existait alors en Europe. C'est ce que savent tous ceux qui connaissent l'histoire.

« Au moyen âge, le droit et la loi étaient les mêmes pour tous, dans les choses religieuses... Le Roi savait qu'en se séparant de l'Église, il perdait infailliblement sa couronne; il cessait à l'instant d'être roi d'un peuple catholique. Pendant les mille ans qui ont précédé Luther, jamais aucun souverain n'a essayé d'introduire dans ses États une autre religion, une nouvelle doctrine, ou de se séparer de l'Église sous quelque forme que ce fût. Lorsqu'il y eut un souverain, tel que l'empereur Frédéric II, réellement incroyant, il se garda bien d'avouer publiquement son impiété, et se fit donner par des évêques et des théologiens des attestations d'orthodoxie.

« Tout fut changé à l'époque de la Réforme. De bonne heure les réformateurs attribuèrent aux souverains temporels la « suprématie », comme ils disaient, le pouvoir sur la religion de leur royaume et de leurs sujets. Ils prétendirent que ces souverains avaient le droit, et que c'était pour eux un devoir, d'établir le pur Évangile, de protéger les Églises nouvelles, de détruire l'autorité du Pape, de ne laisser propager aucune doctrine étrangère. Voilà ce qui fut enseigné en toute occasion aux souverains temporels...

« Ainsi s'établit un despotisme tel que, jusqu'alors, on n'en avait jamais vu de semblable '. Le nouveau système, ter que l'avaient imaginé les théologiens et les juristes, était plus funeste que la pratique byzantine, car chez les Grecs on n'avait du moins jamais essayé de changer la religion du peuple. Mais les princes pro

1 Pour ne citer qu'un exemple : dans le Congrès qui prépara la paix de Westphalie, Wolfgang de Gemmingen, député de la noblesse de l'Empire, fit savoir que la ville d'Openheim, dans le Palatinat, avait déjà changé dix fois de religion depuis la réforme.

testants n'étaient pas seulement des papes dans leurs royaumes, ils étaient plus encore; ils pouvaient ce qui n'a jamais été accordé à aucun pape. Car chaque pape savait bien que sa puissance était seulement conservatrice, qu'elle avait pour mission de maintenir la doctrine traditionnelle, que tout essai de sa part pour changer la doctrine de l'Église rencontrerait une résistance universelle. Quant aux princes protestants, on leur avait dit, et eux-mêmes croyaient et déclaraient que leur pouvoir sur les choses religieuses était complétement illimité...

« Le traité de Westphalie mit le sceau à ce système du pouvoir des souverains sur la religion et sur la conscience. Le droit de réforme fut limité seulement par la fixation de l'année normale (1624); mais, en dehors de la possession garantie par cette année, tout catholique pouvait être obligé par son souverain protestant, et tout protestant pouvait être obligé par son souverain catholique à changer de religion ou à s'exiler. Par sa protestation, le Pape déclarait donc solennellement que la participation de son ambassadeur au congrès ne devait pas être considérée comme un acquiescement à des principes qui devaient avoir pour conséquence facile à prévoir l'emploi de la violence pour séparer de l'Église un certain nombre de catholiques... A Rome, comme en Allemagne, on savait très-bien que dans les États purement luthériens, comme la Suède et le Danemark, la peine de mort était prononcée contre ceux qui pratiqueraient la religion catholique, et que peu d'années auparavant cette peine avait été appliquée par Gustave-Adolphe à plusieurs jeunes gens... Cet état de choses doit être pesé et mis en ligne de compte quand il est question d'un traité par lequel tant de

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