Imágenes de páginas
PDF
EPUB

catholiques, tant de pays autrefois catholiques, furent cédés à des gouvernements protestants, sans aucune garantie assurée pour la liberté de leur culte religieux. Le chef de l'Église ne pouvait réellement faire autre chose alors que de protester contre des cessions et des clauses de traités à la suite desquelles un nombre considérable d'âmes devaient être perdues pour l'Église 1. »

La force, sans doute, fut employée aussi dans des pays catholiques pour repousser les envahissements du protestantisme et rétablir l'unité de l'Église. Les princes catholiques en appelaient volontiers au droit de réforme imaginé par le protestantisme, pour triompher de leurs adversaires avec des armes fournies par eux-mêmes et qu'ils acceptaient comme légitimes. Mais si l'on veut porter sur ce point un jugement équitable, il faut peser les considérations suivantes présentées encore par Dællinger:

« Premièrement, du côté des catholiques, on avait affaire avec une théorie et une pratique dont les auteurs et les partisans avaient déjà déclaré, en 1529, lors de la fameuse protestation de Spire, qu'ils ne pouvaient supporter la religion catholique à côté de la religion nouvelle, et avaient, en effet, commencé partout à effacer toute trace de l'ancienne religion. On avait affaire à un système qui, en abandonnant le pouvoir ecclésiastique au pouvoir séculier, ruinait au fond la stabilité de toute religion, même du lutheranisme ou du calvinisme, et en faisait une simple question de puissance matérielle ou de caprice royal. Le prince catholique reconnaissait au-dessus de lui et de son

1 DOELLINGER, l'Église et les Églises, p. 36 et suiv.

peuple l'autorité inébranlable et toujours la même de P'Église; il voulait être seulement un membre fidèle et soumis dans le grand organisme de l'Église universelle. Le prince protestant, au contraire, se croyait, en vertu d'une mission divine, le juge suprême des choses religieuses pour lui et pour tous ses sujets; il ne reconnaissait aucune autorité plus élevée que la sienne. Ainsi, on avait en Angleterre une Église épiscopale formée d'éléments catholiques et protestants, mêlés contre nature, parce que les rois l'avaient ainsi voulu. Au contraire, le Danemark, la Suède et la Norwége durent devenir et rester luthériens, parce que les rois de ces pays trouvèrent que cette doctrine était la plus commode et la plus favorable à l'extension de leur puissance. En Hollande régnait le pur calvinisme, parce que le parti le plus nombreux et le plus puissant avait embrassé cette religion. Dès qu'on se sentit assez fort, on rompit les traités qu'on avait conclus peu de temps auparavant avec les catholiques de ce pays, et l'on anéantit leur liberté religieuse'. Dans les principautés allemandes, personne ne pouvait savoir si, l'année suivante, le pays serait luthérien ou calviniste ou mi-parti l'un et l'autre, suivant l'exemple donné dans le Brandebourg. Le changement dépendait de la personne du monarque, de la variation de ses idées, de la mort d'un prince dont le successeur professait une religion différente.

1 Par l'édit d'union d'Utrecht, en 1579, les provinces et les villes encore catholiques avaient adhéré à l'union. Quatre ans après, Guillaume d'Orange fit publier un nouvel édit qui, sans aucun prétexte, viola la parole donnée aux catholiques et n'autorisa que l'exercice de la religion calviniste. - V. STOUPE, la Religion des Hollandais.

<< Secondement, la théorie d'après laquelle le souverain d'un royaume avait plus de pouvoir que les évêques, et, par devoir, était obligé de ne tolérer aucune autre religion que la sienne, faisant formellement partie du système protestant, était devenue un article de foi. Quand un prince, jusqu'alors luthérien, interdisait le lutheranisme dans son royaume et lui imposait le calvinisme, les théologiens luthériens disaient naturellement : Sa conscience calviniste le trompe. Mais, en même temps, ils devaient avouer que du moment où le prince regardait la doctrine calviniste comme conforme à la Bible, il avait pleinement raison, il était même obligé de réformer son royaume dans ce sens.

«L'Église catholique se trouvait dans une tout autre situation. Là, les deux pouvoirs étaient complétement séparés. Les princes et chefs des peuples ne devaient pas être les gouverneurs et évêques de l'Église, mais seulement ses protecteurs. Au point de vue de sa situation vis-à-vis de ceux qui ne partageaient pas ses croyances, l'Église avait déjà traversé diverses phases. Sous les empereurs chrétiens, elle était certainement dans l'empire romain la corporation dominante et la plus favorisée, mais la conduite des empereurs envers ceux qui se trouvaient en dehors de l'Église, envers les païens, les Juifs, les hérétiques, les schismatiques, était très-inégale. A cause de la variété des sectes, dont les unes avaient un caractère évidemment immoral et les autres, au contraire, prétendaient à une grande sévérité de mœurs, il était impossible d'appliquer des règles générales. En somme, la pensée qui dominait chez les évêques de cette époque était que la déviation de la foi de l'Église, si aucune autre faute ne venait

[ocr errors]

s'y joindre, ne devait pas être punie sévèrement par le pouvoir politique. « La douceur de l'Église, disait « le pape saint Léon le Grand, se contente du jugement «porté par les prêtres et ne demande aucun châtiment sanglant.» Lorsque deux évêques d'Espagne comparurent devant le tribunal impérial comme accusateurs des priscillianistes, ce fait fut hautement réprouvé par les hommes qui jouissaient dans l'Église de la plus juste considération, tels que saint Ambroise et saint Martin. Durant le moyen âge, il n'y eut pendant longtemps aucune séparation de l'Église pour cause de différence de doctrine. Ce fut vers le onzième siècle que commencèrent à se propager en secret ces sectes ténébreuses professant des doctrines immorales et gnostiques transportées de l'Orient. Les puissances politiques agirent avec une extrême rigueur contre les partisans de ces doctrines; aucun sectaire obstiné ne fut laissé en vie. Peu à peu il fut admis comme une règle générale que la négation de la foi, la propagation de doctrines contraires à celles de l'Église, constituaient un crime digne de mort. Qu'à côté de la seule Église véritable, qui soutenait et cimentait toute la vie sociale et politique, il pût subsister dans un État d'autres sociétés religieuses, enseignant une doctrine différente, c'était une hypothèse que personne alors ne croyait réalisable et que personne n'exposait. Là où des sectes existaient, elles se cachaient et s'entouraient du secret le plus profond. Naturellement les ordonnances des conciles et des papes touchant l'hérésie se ressentirent de l'opinion générale qui régnait alors. Les décrets qui furent portés sur ce point n'appartenaient pas au domaine de la foi, de la doctrine traditionnelle et immuable; ils appartenaient au domaine changeant de la discipline

mise en harmonie avec des circonstances spéciales, avec un état social qui ne devait pas durer toujours 1. »

Un retour sur notre siècle et les intolérances de l'État moderne achèvera de faire ressortir l'avantage de l'Église dans le parallèle avec ses adversaires. Empruntons encore une fois la parole éloquente du

Père Lacordaire :

[ocr errors]

L'Inquisition était un progrès véritable, comparée à tout ce qui avait lieu dans le passé. A la place d'un tribunal sans droit de grâce, assujetti à la lettre inexorable de la loi, on avait un tribunal flexible, duquel on pouvait exiger le pardon par le repentir, et qui ne renvoya jamais au bras séculier que l'immense minorité des accusés. L'Inquisition a sauvé des milliers d'hommes qui eussent péri par les tribunaux ordinaires; les Templiers réclamèrent sa juridiction, sachant bien, disent les historiens, que s'ils obtenaient de tels juges, ils ne pouvaient plus être condamnés à mort. Est-ce bien d'ailleurs à notre siècle à se plaindre de l'Inquisition? A-t-il fondé la liberté des cultes, dont il parle tant, et ne vivons-nous pas en plein règne d'inquisition, avec un mensonge de plus? On recherche de pauvres filles qui couchent sur la dure; on les recherche, parce qu'elles vivent dans une pensée de foi, et qu'au lieu de s'associer pour quelque besogne industrielle, elles s'associent pour prier en travaillant; on les traîne devant les tribunaux; on y sollicite leur expulsion de leur propre foyer; qu'eût fait de plus l'Inquisition? On entend des orateurs dénoncer à la tribune le moindre bruit religieux, et l'on croirait qu'ils passent leur vie

1 DOELLINGER, l'Église et les Églises, p. 46 et suiv. 2 DE MAISTRE, Première Lettre sur l'Inquisition espagnole.

« AnteriorContinuar »