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fouaient comme un imposteur. Or, nier la divinité de Jésus-Christ, c'est accuser le divin Maître d'imposture, c'est le souffleter moralement, puisqu'il n'a rien tant affirmé dans l'Évangile que son nom et sa nature de Fils éternel de Dieu. Ces fêtes protestantes nous donnent donc le violent spectacle de réjouissances communes entre ceux qui veulent adorer le Sauveur Dieu et ceux qui le déclarent indigne d'adoration, indigne même de vulgaire respect, puisqu'il serait capable de la plus sacrilege usurpation, d'une imposture qui aurait trompé l'humanité pendant dix-huit siècles en égarant sa foi, son culte, ses prières, ses sacrifices, tous les sentiments les plus profonds de l'âme!

On dira que les orthodoxes ont fait leurs réserves; je ne l'ignore point. En Allemagne, ce sont même les orthodoxes, bien qu'ils ne dominent pas par le nombre, qui ont obtenu la principale direction du centenaire de Luther, parce que l'Empereur et le haut parti de la cour ne sont pas favorables au libéralisme.

A Genève, les deux partis ont déclaré ne vouloir rien sacrifier de leurs positions respectives, et le président laïque du comité des fêtes a voulu avoir pour vice-présidents un ministre libéral et un ministre orthodoxe.

D'ailleurs, les deux camps du protestantisme génevois sont délimités déjà depuis dix ans, dès la dernière réorganisation législative de ce culte. Je trouve la situation ainsi décrite par M. le pasteur L. Rohrich dans une revue religieuse de Genève en 1874 :

<< La nouvelle constitution asservit l'Église à l'État. C'est à l'État qu'il appartient désormais de nommer les professeurs de théologie et de préparer les futurs pas

teurs. Ceux-ci n'ont plus besoin d'avoir été consacrés par la Compagnie des pasteurs; ils n'ont plus même besoin d'avoir reçu une consécration quelconque, car la consécration au saint ministère est abolie. Tout candidat, d'où que ce soit qu'il vienne et quels que soient ses principes, peut se présenter, pourvu que l'université de l'État reconnaisse qu'il est gradé en théologie.

« Si l'on a laissé subsister la Compagnie des pasteurs, ce n'est que pour la forme, car on lui a enlevé toutes ses attributions, en ne lui laissant que le droit de donner son avis, droit que possèdent tous les citoyens.

« Le Consistoire lui-même est réduit aussi dans ses attributions: il n'a plus à confirmer l'élection des pasteurs, et ceux-ci, une fois nommés par la paroisse, peuvent enseigner et prêcher tout ce qu'ils veulent, sans que cette liberté puisse être restreinte ni par des confessions de foi, ni par des formules liturgiques...

« En définitive, il n'y a plus de lien, plus de foi commune, ce qui revient à dire que l'Église nationale protestante n'est plus réellement une Église...

« Tels sont les principaux reproches qui ont été adressés à la nouvelle constitution que, malgré cela, le Conseil général composé de tous les citoyens, sans distinction de culte, a adoptée par 4,370 voix contre 3,555, par conséquent à une majorité de 817 voix. Cette majorité s'est formée, en grande partie, soit de Suisses d'autres cantons, établis à Genève, tout disposés à accepter une loi qui leur était favorable, soit des catholiques libéraux qui ont voulu témoigner leur reconnaissance pour la protection que le Gouvernement leur avait accordée. Un journal libéral, soi-disant protestant, s'est réjoui de cette victoire en poussant ce

cri de triomphe : « Le dernier rempart de la vieille Genève intellectuelle vient d'être conquis'. "

Si les « catholiques libéraux » votèrent pour cette loi dont se plaint M. le pasteur Rohrich, il n'en fut point de même des vrais catholiques romains, auxquels Mgr Mermillod recommanda de se tenir éloignés du scrutin, et qui, sur ce point comme pour tout le reste, suivirent fidèlement la direction de leur évêque. « Nos << catholiques », écrivait Sa Grandeur, « ont raison de « résister aux séductions d'un vote malsain. Ils souf<< frent et ils contemplent, le cœur navré, ces démoli«tions religieuses et sociales dont ils ne seront jamais à « aucun prix les complices. Je les félicite de ce qu'ils répudient énergiquement toute part d'action dans « ces conflits protestants qui n'aboutissent qu'à empor« ter d'un peuple les derniers débris de l'Évangile qu'il garde encore. Je les félicite de ce qu'ils sont jaloux, pour leurs adversaires comme pour eux« mêmes, de l'indépendance de l'âme. Nul de nous. « n'a intérêt au progrès de l'incrédulité dans le pro«testantisme. »

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Mais il faut compléter le tableau du protestantisme à Genève, d'après M. le pasteur Rohrich :

« Que devaient faire les pasteurs évangéliques après un tel vote? Deux voies leur étaient ouvertes ou bien

se retirer et fonder une Église indépendante de l'État, ou bien rester, en travaillant à la reconstitution de l'édifice spirituel qui venait d'être renversé. C'est cette dernière alternative qu'ils ont préférée... » Réussirontils à la << reconstitution de l'édifice spirituel » ? C'est peu probable, car le triomphe du libéralisme n'a fait

1 Étrennes religieuses, 26° année, Genève, 1875, p. 217.

qu'augmenter depuis lors. M. Rohrich constate que << certains ecclésiastiques libéraux avaient pris une grande part dans les changements opérés pour ôter å l'Église son caractère religieux.

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Quand tout fut consommé, ajoute-t-il, le Consistoire jugea convenable de rompre le silence, déclarant qu'il considérait comme de son devoir d'élever la voix pour convier tous les membres de l'Église nationale, sans exclusion, à travailler avec un nouveau zèle au bien et à la prospérité de cette Église « sur le terrain large et fécond de l'Évangile ». Cette proclamation était certainement conciliante et pacifique; seulement elle oubliait, hélas! que ce n'est plus une Église placée « sur le terrain de l'Évangile », mais une Église purement démocratique, dans laquelle sont admises toutes les opinions religieuses ou irréligieuses, et où l'on peut également enseigner, sur tous les points, le pour et le contre. Elle oubliait que le Consistoire lui-même n'a plus autorité pour empêcher une prédication antiévangélique ou même tout à fait incrédule '. »

En Angleterre, il y a une autorité assez forte pour agir sur les prédicateurs. On connaît les procès intentés

1 Étrennes religieuses, Genève, 1875, p. 222 et suiv.

Il semble qu'en face d'une Église ainsi mutilée, les ministres qui se disent orthodoxes n'avaient plus qu'à se séparer de la majorité libérale et constituer une Église libre, comme il en existe dans les cantons de Vaud et de Neuchâtel. Ils n'ont pas eu ce courage, et un zélé publiciste protestant de Neuchâtel, M. de Rougemont, leur en a fait le reproche en termes des plus vifs...Quel parti la minorité a-t-elle pris? Elle ne s'est point dissimulé que l'Église nationale de Genève était supprimée, et que l'institution nouvelle était une école où l'on enseignerait au choix la vérité et le mensonge. Et cependant elle a subi la loi............. En vous attelant au même joug que les infidèles, ne justifiez-vous pas aux yeux du peuple

ces dernières années aux ministres qui introduisent le ritualisme dans leurs temples. Des amendes et des condamnations à la prison leur ont été infligées par le haut tribunal de la Reine. J'ai visité à Londres, en 1878, le temple de Saint-Mary (Holborn), dont le révérend pasteur, le célèbre Machonochie, un des plus ardents ritualistes, venait de subir sa troisième ou quatrième condamnation. Je pus m'entretenir quelques instants avec un de ses vicaires. Lorsqu'il sut que je venais de Genève, il me dit aussitôt qu'il aimait beaucoup saint François de Sales, et qu'il le lisait habituellement. Puis il m'expliqua le but du ritualisme en deux mots : « A l'époque de la réforme, me dit-il, on est allé beaucoup trop loin; nous voulons un peu revenir en arrière, voilà tout. » Il me fit visiter le temple, orné à peu près comme une église catholique. Je voyais des chandeliers et la croix sur l'autel, comme chez nous. Mais il manquait la lampe du Saint Sacrement, et cela seul me montrait le vide glacial de ce lieu, je dirai même le non-sens de toute cette ornementation. Les cérémonies du culte catholique n'ont de beauté, de signification vivante qu'en se rapportant à la présence réelle de Jésus-Christ au tabernacle. Oter Jésus-Christ et conserver l'extérieur de la liturgie instituée pour l'adorer, c'est aussi peu sérieux que de déployer un pompeux cérémonial devant un trône vide où jamais

leurs hypocrites prétentions à être de vrais chrétiens? » (Le Cri d'alarme, par Fréd. DE ROUGEMONT, p. 36.)

Il y a à Genève 33 ministres protestants, auxquels l'État paye 121,400 francs.

Il y a à Genève 55 prêtres catholiques; ils ne reçoivent aucun traitement de l'État et ont été dépossédés de leurs églises et cures, après avoir refusé le serment du schisme qui leur était imposé par la loi de 1873.

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