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Qui n'a tourné des regards d'envie sur le tribunal de la pénitence? Qui n'a souhaité, dans l'amertume des remords, dans l'incertitude du pardon divin, entendre une bouche qui pût lui dire avec la puissance du Christ: Va en paix, tes péchés te sont pardonnés!

« Heureux qui ne sentit jamais des impressions semblables! Heureuse l'âme pure qui conserve toujours un sentiment assez vif de la présence de Dieu, une foi assez entière dans les promesses de son Sauveur, pour n'avoir jamais éprouvé le besoin de rencontrer sur la terre quelque organe infaillible des volontés du ciel!

« Pour moi, je ne sais si je suis seul de mon avis; mais si je croyais trouver cette puissance surnaturelle que l'Église s'attribue, cette puissance, « source pré<«< cieuse et intarissable de réconciliations, de restitu<«<tions, de repentirs efficaces, de tout ce que Dieu << aime le plus après l'innocence, debout à côté du « berceau de l'homme qu'elle bénit, debout encore « à côté de son lit de mort et lui disant, au milieu des << exhortations les plus pathétiques et des plus tendres « adieux : Partez... » (Du Pape, t. II, p. 76); si je croyais trouver une pareille puissance sur la terre, il est bien des moments où j'irais déposer joyeusement à ses pieds cette liberté d'examen, qui parfois se présente à l'esprit comme un fardeau, bien plus que comme un privilége '. »

Cette puissance », que M. E. Naville désire et qu'il n'a pas su trouver dès les années de sa jeunesse, existe bien réellement sur la terre; elle fait plus

Du sacerdoce dans le christianisme, par E. NAVILLE, p. 81. Genève, 1839.

qu'exister, elle est à l'œuvre depuis dix-huit siècles; elle distribue chaque jour la vérité et le pardon à deux cent cinquante millions d'âmes, dans toutes les terres habitées. Jusqu'à Luther, le monde chrétien tout entier jouissait paisiblement de ces riches trésors spirituels qui font envie à M. E. Naville. Wiclef, le premier, avait attaqué la confession, mais sans faire beaucoup de prosélytes. L'ouragan luthérien emporta le sacrement de pénitence avec les autres. L'Eucharistie tombait, les autels étaient renversés, le sacerdoce tombait: qui aurait encore pu, après ce désastre général, se donner pour << organe des volontés du ciel » et offrir le pardon « avec la puissance du Christ»? Le Christ lui-même était détrôné, et son tribunal de miséricorde devait disparaître.

Certes, s'il est un sacrement qui ne se comprenne qu'avec toute l'intégrité du christianisme, c'est le sacrement de pénitence! C'est ici que tout reprend sa place, après le trouble du péché. L'homme, en commettant le péché, a méconnu son devoir envers le souverain maître; il s'est révolté; il s'est mis tout à la fois en dehors de la loi naturelle d'obéissance au Créateur et de la loi positive des prescriptions religieuses chrétiennes. Il s'agit maintenant de rentrer dans l'ordre. La condition n'est pas au choix du coupable: il n'a qu'à savoir d'abord si l'offensé, qui est Dieu, veut lui pardonner et, ensuite, comment et par qui Dieu accordera ce pardon. La miséricorde divine n'est pas douteuse. Jésus-Christ a dit : « Je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs » (MATTH., 1x, 13); « ce ne sont pas les hommes bien portants qui ont besoin du médecin, mais les infirmes et les malades (Luc, v, 31); il s'est comparé au père qui presse sur son cœur l'enfant prodigue, au bon pasteur

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qui court après la brebis égarée, à la pauvre femme qui cherche la drachme perdue. Enfin une parole semble dominer toutes les pages des Livres Saints : « Je ne veux pas la mort de l'impie, mais qu'il se convertisse et qu'il vive.» (ÉZÉCH, xxxшII, 11.)

Mais si la miséricorde est infinie en Dieu, la justice ne l'est pas moins. Dès lors, le péché de l'homme, qui a pris des proportions infinies parce qu'il offense la Majesté infinie, exige une réparation adéquate. L'homme était incapable de trouver en lui-même cette réparation suffisante. Ce qu'il possède de meilleur est son repentir; mais Dieu pourrait frapper immédiatement et irrévocablement, sans laisser de temps au repentir, comme il a fait pour les anges rebelles; ensuite ce repentir, à lui seul, est de peu de valeur, et Dieu pourrait ne pas l'agréer. La justice et la miséricorde se sont donc donné le baiser de paix par cette harmonie divine qui éclate dans le mystère de la Rédemption. Le Fils de Dieu a été substitué à l'homme coupable, pour offrir à la Divinité une expiation convenable. Le Calvaire proclame tout à la fois les inépuisables tendresses de la miséricorde et les rigueurs inexorables de la justice. Si Dieu n'a pas épargné son Fils unique et l'a livré à la mort de la croix, le pécheur doit-il s'attendre à être traité avec plus de clémence? Non. Jésus-Christ a supplée à l'impuissance du coupable pour le prix infini de la satisfaction, mais il a voulu laisser et imposer à l'homme une part juste, en proportion avec ses forces. C'est pourquoi saint Paul a pu dire « J'accomplis en moi ce qui manque aux souffrances du Christ» (Gal., 1, 24). Dieu offre le pardon par un acte purement gratuit de

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sa bonté; il a

fixé une législation, et, pour ainsi dire, un code de pro

cédure divine réglant tous les détails de l'accusation, de la sentence et du pardon. Dans toute l'économie de la rémission des péchés, les préjugés ou les répugnances de l'homme sont de nulle valeur, les conditions prescrites par Dieu sont seules la règle de la foi et de la pratique. Sans doute la confession sacramentelle, suivie de l'absolution du prêtre, répond « aux besoins les plus profonds de notre âme », ainsi que le reconnaissait M. E. Naville dans sa thèse de 1839. Mais combien y a-t-il d'hommes qui descendent à ces profondeurs de leur âme pour en écouter les vraies aspirations? La plupart semblent se fuir eux-mêmes et redouter de jeter un regard dans les replis de leur cœur. Si nous les interrogeons, leur première réponse, loin d'être favorable à la confession, nous dira qu'ils ne veulent permettre à aucun autre homme de se mêler des affaires de leur conscience; ils repousseront la confession pour eux-mêmes, et la déclareront même mauvaise pour les autres. C'est donc plus haut qu'en nous-mêmes, que dans nos impressions intimes, qu'il faut chercher les raisons de cette institution salutaire. Son caractère essentiel est d'être un remède au péché. Ceux à qui elle répugne le plus sont précisément ceux à qui elle est le plus nécessaire; et, pour vaincre leur répugnance, il faut toute la rigueur d'un précepte divin qui leur commande. Le médecin ne prend point l'avis du malade sur les médicaments à lui prescrire. Le pécheur, atteint du mal moral de l'âme, n'a pas droit à être consulté sur le choix du remède; Dieu lui dit comme autrefois au lépreux : « Va, montre-toi au prêtre » (MATTH., VII, 4).

Pour comprendre la confession, il faut d'abord comprendre le péché. Or le protestantisme a peu à peu

perdu la notion du péché. En 1872, un ministre professeur à la Faculté de théologie de Genève, M. Cougnard, s'écriait dans une assemblée préparatoire à l'élection du Consistoire : L'enfer, nous l'avons supprimé! Cette superbe déclaration, qui venait du reste après la négation de la divinité de JésusChrist et de tous les miracles de l'Évangile, fut couverte des applaudissements frénétiques des trois mille auditeurs de l'assemblée. La « suppression »> de l'enfer devait, par une conséquence logique, amener la suppression du péché. Cette conséquence ne s'est pas trop fait attendre. Le 20 août 1885, la Société pastorale suisse tenait sa réunion annuelle à Genève. Le sujet des délibérations était le péché. Le rapport général était présenté par un professeur de la Faculté de Genève, M. A. Bouvier; les conclusions de ce rapport furent une série de considérations, empreintes de lyrisme, qui enlèvent au péché son caractère essentiel d'offense à Dieu et le réduisent à une espèce de crise morale toute personnelle à l'homme et guérissable par le simple redressement des énergies naturelles, à peu près comme une migraine. Que viendrait-on parler de confession, d'expiation, avec de semblables théories? Il y eut, à la réunion, de timides réserves présentées par quelques pasteurs orthodoxes, surtout par des Français, MM. Bois et de Pressensé; mais la thèse de M. le professeur Bouvier ne fut pas réfutée en règle, et la majorité des pasteurs lui parut favorable '.

1 La Semaine religieuse protestante de Genève, du 11 avril 1885, dit :

La Société pastorale de Bâle-Ville s'est posé, au commencement de mars, la question de savoir si elle ne se déciderait pas réinviter dans la cité d'OEcolampade l'assemblée générale de la

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