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qu'il ne fallait accorder aucune tolérance aux catholiques, ni à toute autre église ou parti distinct de la secte parvenue au pouvoir. Avoir dans un pays deux ou plusieurs religions serait dangereux, disait-on, et affaiblirait le gouvernement...

« La pratique répondit bientôt à la théorie, même en Allemagne, dans les États scandinaves, en Angleterre, en Suisse, partout où domina une confession protestante. Comme on tenait fermement à la doctrine qui donnait aux princes et aux employés civils le pouvoir suprême sur les choses religieuses, on fut amenė, ainsi que le firent les coryphées des confessions réformées, à contester aux princes qui n'embrassaient pas le calvinisme leur droit de gouvernement, à déclarer permise et même nécessaire leur déposition. On sait jusqu'où sont allés, dans cette voie, Knox et d'autres, et combien cette opinion a contribué, en Angleterre, à la chute de Charles I". En Suède, Sigismond fut aussi dépouillé de sa couronne, parce qu'il était catholique.

« Les protestants français qui ne formaient qu'une petite minorité et qui ne devaient qu'à l'édit de Nantes une situation assurée ne voulaient permettre à aucun catholique de pratiquer sa religion, dans les places fortes qui leur avaient été assignées. Il en était de même dans l'Europe protestante. Liberté pour nous, oppression pour tous les autres partis, telle était la maxime régnante'.

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Je ne veux pas refaire le Théâtre des cruautés des hérétiques au seizième siècle publié en Hollande en 1587 et dont la traduction française de 1588 vient d'être rééditée. Mon but n'est ni de faire des récrimi

1 DOELLINGER, l'Église et les Églises, p. 50 et suiv.

nations, ni de réveiller des sentiments d'horreur sur des faits d'un autre âge, mais seulement de montrer que le triomphe du protestantisme, loin d'être une œuvre de liberté, fut dû à l'emploi de moyens qui seuls suffiraient à le rendre inacceptable. Je me borne donc à citer encore quelques auteurs protestants suisses sur la réforme dans les quatre principaux cantons. Voici pour Zurich :

« L'insurrection anabaptiste avait jeté le gouvernement zurichois hors de sa première voie. Nous ne le verrons plus s'appuyer sur son peuple et le consulter en toute grave circonstance. Il s'attribua l'administration de l'Église comme de l'État. Zwingli lui demandait de confier les choses de l'Église à un synode composé d'ecclésiastiques et de laïques; il ne l'obtint pas. Le synode fut constitué, mais comme représentation du clergé, et le Conseil en prit la direction. En même temps prévalut la maxime d'étouffer toute résistance à la religion d'État. Les anabaptistes furent condamnés, les uns à être noyés sans pitié, les autres à être fouettés et chassés du pays...

« La réforme et la révolution confondirent si bien leurs causes qu'on a peine à discerner l'une de l'autre. On procédait en matière de conscience comme en matière d'État, par mains levées, et l'on contraignait la minorité d'accepter la loi du plus grand nombre'. »

La victoire des cantons catholiques, à Cappel, sur l'armée protestante, conduite par Zwingli, arrêta pour quelque temps l'extension du protestantisme hors de Zurich et de Berne. Ces deux cantons, restant maîtres chez eux, organisèrent la nouvelle Église par une série

1 WUILLEMIN, Histoire de la confédération suisse, t. II, p.

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de synodes et de décrets dont le bras séculier assurait l'exécution. Plusieurs fois, il y eut parmi le peuple des tentatives de retour au catholicisme; elles furent étouffées impitoyablement, tantôt par les armes, tantôt par des amendes, tantôt par des concessions temporaires. On faisait procéder à un semblant de vote dans les communes; si la majorité se prononçait pour le prêche, la minorité devait se soumettre, et la messe était abolie; si, au contraire, la majorité l'emportait pour la messe, la minorité restait libre de pratiquer le protestantisme.

A la fin de l'été 1528, parut à Berne l'édit de persécution qui ordonna de briser partout les images et de démolir les autels, soit dans les églises, soit dans les maisons particulières, de poursuivre partout les prêtres qui diraient encore la messe, d'en saisir autant qu'on pourrait en attraper et de les mettre en prison. En cas de récidive, les prêtres étaient mis hors la loi. Le même édit ordonnait de punir tous ceux qui soutiendraient ces prêtres ou leur donneraient asile.

<< Il y avait encore des gens qui allaient entendre la messe dans le voisinage, dit l'historien protestant Ruchat. Cela fut défendu par un nouvel édit (le 22 décembre 1528), sous peine de déposition pour les gens d'office et de punition arbitraire pour les particuliers. » « L'an 1536, dit le même auteur, Leurs Excellences de Berne publièrent une déclaration, datée du 14 mars, sur l'édit du 8 novembre précédent qui réglait le châtiment de ceux qui ne voudraient ni prêter le serment d'adhésion à la doctrine officielle, ni sortir du pays, anabaptistes ou papistes. Elle contenait que ces sortes de gens « seraient mis en prison à Berne huit jours et huit nuits; après quoi, s'ils vou

laient persister dans leur résolution, ils devaient être conduits hors du canton, et l'on devait leur déclarer que, s'ils s'avisaient de rentrer dans le pays et qu'on les y surprît, ils seraient punis de mort; les hommes auraient la tête tranchée, et les femmes seraient noyées'. »

Quant au canton de Vaud, la réforme lui fut apportée par les Bernois qui, venus pour lui prêter appui contre le duc de Savoie, changèrent l'alliance en conquête et imposèrent au pays leur religion en même temps que leur domination politique'. Ce furent aussi les armes bernoises qui décidèrent de la réforme à Genève. Calvin n'arriva que pour bénéficier des troubles politiques. La population catholique génevoise dut s'expatrier ou apostasier de vive force c'est le premier parti qu'elle prit en masse, et l'ancienne cité se peupla de réfugiés de tous les pays. Un historien génevois va maintenant nous décrire ce que l'on appelle le régime de Calvin :

« Calvin renversa tout ce qu'il y avait de bon et

1 RUCHAT, Histoire de la Réforme, t. III, p. 315.

* Un journal vaudois (Évangile et Liberté, janvier 1886) a proposé de célébrer, le 1er octobre 1886, le trois cent cinquantième anniversaire de cette prise de possession du protestantisme; sentant le besoin d'une excuse, il ajoutait : « On dit parfois qu'à la différence d'autres peuples, les Vaudois n'ont pas frémi au souffle puissant qui ébranla le seizième siècle. La Réforme nous fut imposée; nous ne l'avons ni demandée, ni acclamée! - Peut-être! Mais raison de plus pour rappeler les grâces reçues, source, à tout prendre, de ce qu'aujourd'hui nous possédons de meilleur.

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Mais, si ce pays avait conservé le catholicisme, ne serait-ce pas la source de quelque chose de meilleur? Le peuple vaudois, en général très-sensé et bienveillant pour les catholiques, ne s'est point laissé aller aux manifestations proposées: l'anniversaire n'a pas été célébré.

d'honorable pour l'humanité, et établit le règne de l'intolérance la plus féroce, des superstitions les plus grossières et des dogmes les plus impies.

"

Ce qu'il y a de certain, c'est que les Génevois furent opprimés de la manière la plus infernale par le parti de la terreur que Calvin avait organisé et où il faisait enrôler jusqu'à trois cents auxiliaires par jour, tous dans la force de l'âge, tous armés, tous fanatiques ou brigands... Les filous, les escrocs, les faux-monnayeurs, les meurtriers, les espions, les empoisonneurs, n'avaient qu'à se dire prosélytes pour être reçus à bras ouverts...

« Une de ses jouissances était de jeter les hommes dans les cachots et de les faire conduire de là au temple par des sbires pour les forcer d'écouter les sermons où leurs parents et amis, et eux-mêmes, étaient traités de pendards, de bélitres, de balaufres et de chiens... Toutes ces expressions ne sont pas de moi, Dieu merci! je les prends dans l'élégant vocabulaire de Calvin, de M. Abel Poupin, de M. Cop et d'autres énergumènes de ce temps-là...

« Il faisait enregistrer les moindres propos tenus contre lui ou sa doctrine de la prédestination, avec laquelle il s'était tellement identifié qu'il était aussi dangereux de parler contre ce dogme que contre lui... Les coupables étaient traînés dans les cachots, fouettés, bannis, promenés par la ville en chemise et nu-pieds, une torche à la main, pour expier ce qu'il lui plaisait d'appeler des blasphèmes... Les deux années 1558 et 1559 virent éclore quatre cent quatorze procès criminels!!!

« C'est ainsi que le calvinisme fut implanté sur notre territoire, où il ne put produire que les fruits les plus amers: un mécontentement secret, qui perçait de mille manières, et une habitude de mesures com

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