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pressives qui l'empêchait de se manifester hautement, mais qui lui donnait en aigreur tout ce qu'elle lui òtait en violence. De là ce caractère ergoteur qui nous était reproché dans toute l'Europe; de là ce malaise nerveux qui, n'osant se montrer à découvert dans son véritable motif, s'attachait à toutes les niaiseries politiques et leur donnait une importance extraordinaire et souvent extravagante'.

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De 1542 à 1546, période la plus douce du régime de Calvin, il y eut cinquante-huit exécutions capitales, soixante-seize bannissements et neuf cents emprisonnements. Et quelles furent les conséquences morales de l'«< affranchissement religieux » de Calvin? M. Galiffe nous répond encore :

« Il y a trente-six ans que j'étudie l'histoire, et il y en a vingt-cinq que je m'occupe exclusivement de celle de Genève. Or, s'il le fallait pour satisfaire les calvinistes de bonne foi et ceux qui, trompés par les assertions tout à fait fausses, s'imaginent que Calvin nous a fait du bien, je leur montrerais nos registres couverts d'inscriptions d'enfants illégitimes; je leur ferais voir qu'on les exposait dans tous les coins de la ville; je leur découvrirais des procès hideux d'obscénité, des mères abandonnant leurs enfants à l'hôpital, pendant qu'elles vivaient dans l'abondance avec un second mari, des multitudes de mariages forcés, des liasses énormes de procès entre frères, et tout cela parmi ceux que Calvin avait élevés sous sa loi et nourris de sa manne mystique1.>>

Abrégeons notre course à travers de si douloureux souvenirs. Le peu qui nous en est apparu ne justifie

1 Notices généalogiques, par GALIFFE, t. III, p. 21, 545, 553. 2 Notices généalogiques, t. III, p. 15 et 16.

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que trop la parole de Leibnitz : « Toutes les larmes des hommes ne suffiraient pas à pleurer ce grand schisme. Et pourtant ces origines du protestantisme sont fort peu connues. L'historien protestant Menzel a dit que les savants de l'Allemagne connaitront fort bien l'histoire d'Athènes, de Rome, de Byzance, de la cour de Louis XIV, mais ignorent l'histoire de leur pays, de cette période révolutionnaire qui a brisé leur unité nationale. Cette observation se justifie aujourd'hui même par la profonde impression que produit en Allemagne l'Histoire du peuple allemand, de Mgr Janssen, en cours de publication'. Nous nous plaignons quelquefois que les protestants condamnent

1 Les journaux américains, anglais et allemands, ont publié en 1885 une lettre de M. William Fromman, conçue en ces termes :

Je suis protestant et Allemand, je n'ai jamais été en relation avec les catholiques. Eh bien! je me sens troublé dans ma conscience, et mes connaissances historiques me semblent erronées, depuis que j'ai lu l'œuvre de M. Janssen, l'Histoire du peuple allemand. J'ai lu les polémiques que ce livre a soulevées, j'ai considéré le pour et le contre les adversaires de M. Janssen n'ont produit contre lui nulle réfutation sérieuse, tandis que lui a toujours répliqué avec une impartialité sereine et supérieure.

« Au mois de mars dernier, je me suis adressé à une Université allemande, et j'ai proposé de fonder un prix de cinq mille dollars pour celui qui ferait une résutation solide de l'ouvrage de M. Janssen, avec l'indication des sources et des documents. Malgré mes instances et l'appui d'un membre haut placé du clergé anglais, je n'ai pu avoir de réponse. Depuis, le quatrième volume a paru, et il me semble encore plus écrasant que les autres pour le protestantisme. Je crée donc un prix pour la réfutation de ce dernier volume, et je prie l'Université de Berlin de nommer une commission pour juger les œuvres qui seront présentées.

• Six questions m'intéressent particulièrement :

« 1o La religion protestante a-t-elle autant varié que le dit M. Janssen?

2o Les injures et les excommunications réciproques des prédi

le catholicisme sans le connaître; connaissent-ils davantage le protestantisme qu'ils adoptent?

Un fait trop peu remarqué, c'est que Luther rencontra pour adversaires de ses doctrines tous les savants et les hommes éminents de son temps. Doellinger, dans son ouvrage la Réforme et les réformateurs, passe en revue toutes les universités allemandes du seizième siècle et montre les résistances qu'elles firent à l'hérésie « C'était chose inouïe, dit-il, de voir un théolo gien d'un mérite reconnu abandonner le catholicisme pour la doctrine nouvelle. » Mais la main de fer des princes les désorganisa; il fallut se soumettre ou se démettre, et les chaires de l'enseignement devinrent ainsi les chaires serviles de l'hérésie.

Luther, réfuté et confondu dans son propre pays, en appela à l'Université de Louvain; elle le condamna. Dès lors, ceux qu'il avait invoqués comme juges furent injuriés comme des ânes. C'était toute sa réponse. Il en appela en second lieu à la Sorbonne de Paris. Même condamnation et même réponse.

cateurs et théologiens protestants peuvent-elles être historiquement prouvées, comme l'a fait M. Janssen?

3o M. Janssen rapporte la tyrannie des princes protestants, leur intolérance et leur pression sur leurs sujets pour les obliger au culte protestant; il les montre soudoyés par les puissances étrangères, traîtres à l'Empereur et au pays. Tout cela est-il vrai? Le prince Electeur de Saxe, Frédéric III, qu'on nous a montré jusqu'ici comme une lumière du protestantisme, a-t-il été traître à l'Allemagne? a-t-il vendu sa conscience et son honneur?

4o Les princes et leurs conseillers ont-ils vraiment manqué à tous leurs serments prêtés à Augsbourg?

« 5o Peut-on réfuter par des documents l'assertion de M. Janssen au sujet de la décadence et de la démoralisation du peuple, à la suite de sa conversion au protestantisme?

Enfin, 6o quelle est la réponse de la science protestante au tableau tracé par M. Janssen, de l'œuvre moralisatrice des Jésuites?; »

Les juristes de l'époque firent également bonne guerre au réformateur. Au point de vue du droit, le système de Luther était une rupture trop violente à tous les principes pour trouver grâce devant des hommes habitués à compter avec la loi.

N'est-ce pas la plus significative condamnation du protestantisme, qu'il n'ait jamais pu soutenir le choc de la discussion et de la science supérieure? En tous pays, les grands esprits chrétiens s'en sont toujours séparés dès qu'il ont voulu raisonner leur foi.

Bossuet a consacré la meilleure part de son génie à ouvrir les voies du retour aux protestants sincères. Il écrivit d'abord pour eux l'Exposition de la doctrine catholique. « J'ai remarqué, dit-il, que l'aversion que ces messieurs de la religion prétendue réformée ont pour la plupart de nos sentiments est attachée aux fausses idées qu'ils en ont conçues, et souvent à certains mots qui les choquent tellement, que, s'y arrêtant d'abord, ils ne viennent jamais à considérer le fond des choses. C'est pourquoi j'ai pensé que rien ne leur pourrait être plus utile que de leur expliquer ce que l'Eglise a défini dans le Concile de Trente, touchant les matières qui les éloignent de nous. »

L'Histoire des variations remua tout le protestantisme. Toutes les plumes habiles de la religion prétendue réformée se préparèrent à y répondre. Basnage, Jurieu, Burnet et d'autres plus obscurs se firent les champions des Églises protestantes, les uns en se prévalant de ces variations mêmes, les autres en renvoyant à la doctrine catholique le reproche de varier. Personne ne put entamer le fond même du livre : Bossuet S'était mis à l'abri de toute réfutation derrière les faits et les actes authentiques. Il battait les protestants par

leurs propres paroles, par des actes de foi publique, par des confessions communes. Il écrivit sur ce modèle la Défense de l'Histoire des variations et ces six Avertissements aux protestants, qui en complètent, éclaircissent ou fortifient les points principaux. Citons sur cette grande controverse une page d'un auteur qui n'est pas sans égards pour les protestants :

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Quand on regarde cette suite formidable d'ouvrages, le nombre et la nature des preuves tirées des aveux mêmes du protestantisme; la faiblesse des adversaires, trahie par leurs emportements mêmes; l'impartialité et le calme de Bossuet dans la plus grande ardeur du débat, on se demande comment, ayant eu raison sur tous les points et de tous ses adversaires; raison dans ce qu'il établit comme dans ce qu'il réfute; raison quand il montre la part des passions, de l'orgueil, de la vanité, de l'ambition, de l'amour du pouvoir, dans les changements qui avaient modifié tant de confessions si opposées entre elles et si contradictoires en elles-mêmes; raison en tous points et contre tous; on se demande comment l'événement lui a donné tort; car, pour ne voir dans cette lutte de dix années qu'un tournoi théologique, je ne puis m'y résigner. L'autorité, la beauté de ces ouvrages sortent si naturellement du fond, qu'on ne peut pas y trouver de plaisir sans s'engager dans le débat. Voilà pourquoi, ayant suivi Bossuet dans cette mêlée, et m'en étant retiré avec le doute, je me demande par quelles causes, vainqueur dans la doctrine, dans l'événement il a été vaincu...

<< Bossuet a raison dans tout ce qui est de la théologie. Défenseur de la tradition contre le sens propre, il ne fait pas un pas au hasard, ne quittant pas la trace des

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