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différente, contraire même, dans la bouche des uns et dans celle des autres...

« Voilà, messieurs, où conduit la prétention de fonder une Église sans croyances déterminées, au trouble, non à la paix ; au désaccord, non à la communion; à la destruction de la foi et de la charité, non à l'édification; à la ruine, et non au développement de la vie chrétienne, c'est-à-dire à des fins directement contraires à celles qui font la raison d'être de l'Église '. »

Et pourtant, cette situation, si amèrement envisagée par le professeur de Montauban, est celle qu'a dû subir le protestantisme français. Il écrivait cela en 1869. Le synode général s'est tenu depuis lors, en 1872, et n'a pu formuler une confession de foi capable d'exclure les libéraux. Au contraire, le libéralisme a continué d'élargir ses négations. Au mois d'avril 1885, les pasteurs de la province étaient réunis à Paris pour discuter, avec leurs confrères de la capitale et quelques étrangers, la dernière doctrine libérale connue sous le nom de << conditionalisme ». C'est le dogme de l'immortalité de l'âme qui est en jeu. Il a plu aux libéraux d'en sacrifier la moitié, c'est-à-dire de ne plus admettre l'immortalité que pour les âmes heureuses, et d'imaginer pour les âmes condamnées à l'enfer un anéantissement graduel qui mettrait fin à leurs peines par la destruction absolue de leur ètre. Ainsi l'enfer, que le protestantisme avait d'abord accepté seul, en niant le purgatoire, se trouve à la fin transformé en purgatoire temporaire, mais avec cette différence que l'âme sort

1

Évangile et liberté, par Charles Bois, p. 279-281.

2 Le nombre des protestants en France est actuellement de 580,000, ayant 782 pasteurs de toutes nuances reconnus par l'État, qui leur paye des traitements de 1,500 à 2,100 francs.

purifiée du purgatoire catholique pour entrer dans le sein de Dieu, tandis qu'elle sort anéantie du purgatoire libéral, pour entrer, sans doute, dans le Nirvahnà de Bouddha! Eh bien ! les ministres orthodoxes se sont trouvés en minorité, aux Conférences pastorales de Paris, pour soutenir la doctrine complète de l'immortalité de l'âme, enseignée tout à la fois par la simple philosophie et par la révélation : les « conditionalistes >> étaient en majorité1. — M. le professeur Bois pouvait dire en 1869 : « Notre chère Église réformée de France est bien menacée... J'ai entendu parler de sa « fin prochaine. J'ai rencontré des esprits las de nos « discussions passionnées, effrayés des envahissements « de l'erreur et de l'audace croissante des négations, « enclins à désespérer de tout et près de tout aban« donner 2. » Je me demande quelle doit être aujourd'hui la tristesse de ces esprits, en face de tant de négations et de discussions nouvelles qui sont venues s'ajouter aux anciennes.

Néanmoins, il faut se garder des illusions. La plupart des livres de controverse de ce siècle, après avoir exposé la décomposition doctrinale du protestantisme, concluent hardiment que nos frères séparés vont être forcés de choisir entre l'incrédulité et le retour au catholicisme. Nous n'en voyons cependant revenir que bien peu. Les uns s'arrêtent à une demi-incrédulité, les autres descendent de jour en jour plus bas. S'ils ne

1 Pendant l'hiver 1885, des conférences ont été faites sur le même sujet à l'amphithéâtre de théologie de l'Université de Genève M. Pétavel-Oliff, qui a déclaré que la théorie de l'immortalité conditionnelle rallie chaque jour un plus grand nombre de protestants en Angleterre, en Allemagne et en Amérique.

par

2 Évangile et liberté, p. 293.

se trouvent pas très à l'aise dans cet état, ils ne veulent du moins pas y être inquiétés davantage et semblent avoir assez de leur mal, sans qu'on vienne encore les importuner de ce qu'ils considèrent comme le mal plus grand du catholicisme. Les longues maladies amènent toujours une période d'affaissement où le patient, dégoûté de tout, ne veut plus même entendre parler de remèdes. Le protestantisme moderne se complaît dans son anémie morale; il en est même arrivé au point de vouloir fonder le caractère propre de son existence sur la liberté illimitée des opinions et l'absence de toute croyance ferme. En 1881, la Société pastorale suisse avait pris pour sujet d'étude, dans sa quarantième assemblée annuelle tenue à Frauenfeld le 9 août, la question suivante, examinée d'avance par toutes les conférences cantonales de pasteurs :

Quel est le principe essentiel du protestantisme? M. le ministre Nippold, professeur de théologie à la Faculté de Berne, était chargé du rapport général. Après avoir analysé tous les rapports particuliers envoyés des divers cantons, il arrivait à ces conclusions présentées comme des << thèses >> contenant le dernier mot de l'impuissance doctrinale du protestantisme contemporain :

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« Pour répondre à la question de savoir quel est le principe essentiel commun à tout le protestantisme, <«< il faut renoncer dès l'abord à ramener à un type unique la grande diversité des formes et dénomina«tions protestantes. Toutes les tentatives qu'on pour«rait faire, en vue de les réunir sous une même « autorité extérieure, se beurtent à d'irréductibles « contradictions...

« Le principe unique du protestantisme, le sol

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"

« nourricier d'où sont issues toutes les Églises si di

« verses de la Réforme, n'est autre que le principe « qui s'est formulé dans la protestation de Spire, savoir « le droit qu'a l'individu religieux de se déterminer « lui-même'. »

Mais tout homme n'a-t-il pas le droit de se déterminer soi-même? Est-ce donc là un privilége réservé au protestant? Le catholique ne se détermine-t-il pas lui-même, lorsqu'il fait sa libre, volontaire et constante adhésion aux vérités immuables de sa foi? Est-ce que les millions de chrétiens qui ont fait cette adhésion et l'ont scellée de leur sang ou illustrée de leur sainteté depuis dix-huit siècles, ne s'y sont pas déterminés d'eux-mêmes?

Le principe donné par la Société pastorale suisse comme le fondement essentiel du protestantisme, est une banalité qui peut s'appliquer à tous les actes de la liberté humaine, aussi bien dans l'ordre philosophique et les occupations vulgaires que dans l'ordre religieux. Cela signifie que l'homme libre a le droit d'agir librement; c'est-à-dire que cela ne signifie rien. Pour s'en convaincre, il suffit de faire tenir ce langage, non plus par la Société pastorale, mais par Jésus-Christ luimême. Après avoir annoncé tout son Évangile, JésusChrist aurait dû dire à ses disciples : « Le principe unique, essentiel de ma religion nouvelle, c'est que chacun de vous ait le droit de se déterminer luimême.» Les disciples auraient répondu : Mais le droit de libre détermination, nous l'avons toujours eu, nous le tenons de la nature même de notre âme; vous

1 Revue de théologie et de philosophie, 15e année, Lausanne, Rapport de M. Nippold, p. 173.

ne nous apportez donc rien de nouveau; vous vous moquez de nous en nous donnant cela pour une religion nouvelle; tous les adorateurs d'idoles ont aussi le droit de se déterminer eux-mêmes.

:

Jamais le christianisme n'aurait pu s'établir, ni même se prêcher à des hommes sérieux, s'il avait fallu que son fondateur en vînt à dire : Voilà mon Évangile, vous êtes libres d'en prendre ce que vous voudrez; vous avez pleine faculté de l'interpréter chacun comme vous l'entendrez, car l'essentiel de cette religion, c'est le droit de se déterminer soi-même! Les apôtres auraient-ils osé aller au-devant des préjugés de la foule ou des menaces des proconsuls avec un moyen si faible de les vaincre? Au lieu de trois mille conversions, saint Pierre n'aurait-il pas recueilli des huées, s'il avait terminé son premier discours en disant à l'auditoire L'essentiel de tout ce que je viens de vous annoncer consiste en ce que chacun de vous ait le droit de se déterminer soi-même. En ce cas, eût-on répondu à l'apôtre, nous nous déterminons à ne rien croire d'une religion qui n'ose pas même s'affirmer. Y a-t-il, oui ou non, une obligation d'accepter comme vraie et nécessaire la religion que vous prêchez au nom de Jésus crucifié? S'il y a obligation, vous nous trompez et vous êtes les indignes représentants de cette religion, en disant qu'il nous est facultatif de la rejeter ou de la modifier à notre gré. S'il n'y a pas obligation, de quoi venez-nous nous importuner? Retournez à votre métier de pêcheurs, et laissez-nous à nos idoles et à nos vices.

La cause du christianisme eût été perdue à la première rencontre, sans avoir fait une seule conquête sérieuse, si les apôtres avaient commencé à la prêcher

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