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avec les thèses de la Société pastorale suisse. Qui donc eût voulu aller à la mort, ou simplement changer ses habitudes et ses convenances personnelles, pour une religion incapable d'imposer la même idée à deux hommes, incapable de donner une certitude à l'esprit, une règle fixe à la conscience? Un Dieu ne pouvait pas descendre du ciel pour se livrer à une semblable dérision envers les hommes. Mais si le procédé moderne dų protestantisme était indigne de Dieu et de la raison humaine pour les premières origines du christianisme, comment aurait-il cessé de l'être aujourd'hui? Ce qui ne pouvait pas être et n'a pas été la pierre angulaire du commencement, dans le travail de fondation, ne peut pas le devenir aux siècles suivants. Nous voyons bien réparer la toiture d'une maison, les fenêtres, les parties accessoires, mais on ne peut en changer les fondations, les disposer sur un plan nouveau sans détruire l'édifice de fond en comble : la maison ainsi reconstruite ne serait plus ce qu'était l'ancienne. Le plan nouveau du protestantisme, forcément différent de celui de l'origine, comme nous venons de le voir, n'est donc pas le plan de la religion de JésusChrist.

Je m'arrête. J'allais me laisser entraîner à la discussion, et ce n'est pas ce que je veux en ce moment. Ma seule conclusion est de constater que nous ne devons pas fonder des espérances sur cette anarchie intérieure du protestantisme. Elle n'est pas nouvelle. Elle date des premiers jours de la Réforme; elle a produit alors des luttes acharnées, qui ont abouti à des buchers, comme celui de Servet, et à des exterminations en masse, comme celle des anabaptistes. En estil résulté des retours à l'Église catholique? Des retours

isolés, oui; des retours de peuples, non. Il en sera de même aujourd'hui. Si les directeurs du protestantisme ont une certaine crainte des abimes de l'incrédulité, ils redoutent bien davantage un rapprochement de l'Église catholique. Parmi les thèses qui servent de conclusion au rapport présenté à la Société pastorale suisse, dont je viens de parler, M. le ministre professeur Nippold a formulé celle-ci :

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« L'avenir des Églises protestantes dépend de la fidé« lité à leur principe. Cette fidélité, la gauche ecclésiastique doit en faire preuve en défendant l'Évangile « contre le matérialisme et le naturalisme; la droite, « en repoussant le papisme et le cryptopapisme. Ce qu'il faut entendre par le « cryptopapisme»>, je le laisserai définir encore par M. Nippold : : « Le flot de la grande Révolution française montait encore, ditil, que déjà les Maistre, les Chateaubriand, les Bonald, dans des livres dont l'influence fut immense, cherchaient à démontrer que l'unique planche de salut pour la société en décomposition consistait à reconnaître l'autorité infaillible du Pape. De même,

en

d'autres pays, dans la mesure où l'on avait eu à souffrir de l'invasion révolutionnaire, la haine du jacobinisme s'exalta jusqu'à la haine de la Réforme, ce mouvement dans lequel on voyait la première cause de l'esprit moderne. Les lettres de Metternich et d'Adam Muller à Gentz, les confessions de Frédéric-Léopold Stolberg, la lettre bien connue de Charles-Louis Haller, de Berne, à sa famille, ne sont que des indices isolés, entre beaucoup d'autres, d'un courant d'idées qui a acquis dès lors plus d'importance.

« Tandis que le pouvoir de la papauté sur le catholicisme parvenait à un point qu'il avait à peine atteint

sous Innocent III, et que des filets habilement tendus lui promettaient de plus riches captures dans la suite, on vit les chefs et les directeurs des Églises protestantes se brouiller avec le protestantisme lui-même. Des premiers rangs de la Société l'on partit de nouveau en pèlerinage auprès du rocher de Saint-Pierre, dans une proportion inconnue même du dix-septième siècle. Juristes, journalistes, artistes et poëtes, ensorcelés par la nuit du moyen âge avec son magnifique clair de lune, suivirent en foule la même voie.

« Le nombre des ecclésiastiques anglais qui quittèrent l'Église épiscopale pour celle du Pape s'éleva à plusieurs centaines. Tant en Suisse qu'en Allemagne, de 1848 à 1870 seulement, environ cinquante théologiens luthériens et calvinistes ont échangé les symboles protestants contre la confession du papisme. Nous en avons eu, ces dernières années encore, des exemples retentissants. Et cependant ces pertes numériques du protestantisme sont peu de chose auprès de la trahison que commet à l'égard du principe protestant le système hiérarchique en vigueur aujourd'hui dans la plupart des Églises allemandes... Nous voyons les gouvernements ecclésiastiques de la plupart des Églises protestantes d'Allemagne suivre avec complaisance les ornières romaines. A voir surtout ce qui se passe dans la plus importante des Églises nationales de ce pays, le vieil esprit protestant semble absolument enchaîné. Il n'est rien de pire que de fermer les yeux devant des faits pareils. A n'en juger que par les tendances de ses plus hauts dignitaires ecclésiastiques, le protestantisme serait en pleine décadence '. »

1 Revue de théologie et de philosophie, année 1882, p. 157.

Aux yeux du ministre libéral de Berne, la décadence, le cryptopapisme, c'est le reste de l'organisation chrétienne que les ministres orthodoxes de l'Allemagne s'efforcent de sauver du naufrage. Ceux-là sont les « traîtres à leur propre parti » ; ils ont « renié la conscience protestante »; ils seraient moins coupables envers les libéraux et moins dangereux, s'ils passaient franchement au catholicisme à l'exemple de tant d'ecclésiastiques et de théologiens qui ont fait ce pas en Angleterre, en Allemagne et en Suisse. La << droite du protestantisme doit se prémunir contre cette tendance, plus redoutable, paraît-il, que celle de la gauche vers le matérialisme et le naturalisme.

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Assurément, si le protestantisme peut se rapprocher du catholicisme par un bout, c'est par celui de la droite. Mais cette droite elle-même n'a-t-elle pas contre Rome un parti pris aussi décidé que la gauche? Le Conseil supérieur de l'Église évangélique de l'Allemagne, que l'on met en cause, est-il moins ardent adversaire du papisme que l'un des modestes consistoires suisses ou français? Écoutons un des représentants de l'extrême droite en Suisse, l'un des chefs de Église libre du canton de Vaud». M. Astié, professeur à la Faculté libre de théologie de Lausanne, publiait au mois de janvier 1883 une longue et trèssérieuse critique du rapport présenté à la Société pastorale suisse, le mois d'août précédent, par M. le pasteur Furrer, de Zurich ; il lui reprochait de nier les miracles de l'Évangile, et de n'avoir pas osé parler de Jésus-Christ. Or la principale crainte de M. le professeur Astié était de voir le catholicisme profiter de ces indécisions de doctrine. « Vous resterez seul, dit-il, pour voir le peuple se scinder en deux et courir tantôt

après les fanatiques de droite, tantôt après ceux de gauche............. Rome a toujours les bras ouverts pour recevoir les hommes timides, qui reculent devant les graves responsabilités découlant du principe protestant. Certes la position de notre protestantisme est vraiment tragique! Il a tout préparé de longue main pour l'avénement d'un monde nouveau, mais voilà, il semble avoir épuisé toutes ces forces à faire les semailles; il ne lui en reste pas assez pour recueillir la moisson'.

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Eh bien! la moisson périra, s'il le faut; les chefs de droite et de gauche du protestantisme dissiperont jusqu'au dernier épi, plutôt que de le laisser rentrer aux greniers du père de famille. C'est une situation pire que celle des anciennes synagogues juives, qui arrachait ce cri au Sauveur : « En voyant cette multitude, il en eut compassion, parce qu'ils étaient accablés et couchés comme des brebis n'ayant point de pasteur. Alors il dit à ses disciples: La moisson est abondante, mais il y a peu d'ouvriers. Priez donc le maître de la moisson qu'il envoie des ouvriers. » (SAINT MATTHIEU, IX, 36-38.) Les chefs du protestantisme ne veulent pas des ouvriers de l'Église catholique envoyés par le maître. Comme si les âmes étaient faites pour être immolées au maintien artificiel du schisme de Luther et de Calvin, MM. les ministres de droite et de gauche sont unanimes à dire que la moisson doit être perdue plutôt que recueillie par l'Église romaine. Quel est donc, à leurs yeux, le prix d'une âme, pour qu'ils s'en jouent ainsi au milieu de leurs discordes irréconciliables? Le Fils de Dieu est descendu du Ciel; Jésus, l'Homme-Dieu, a versé son sang sur la croix pour donner aux âmes une

1 Revue de théologie et de philosophie, année 1883, p. 33.

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