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foi, un baptême, une religion et le salut. Est-il possible que cette religion du Christ soit devenue incapable de « recueillir la moisson » des âmes? Non. Ceux qui se déclarent frappés de cette incapacité ne peuvent donc pas être les ministres de la vraie religion de Jésus-Christ.

Je sais bien que M. Astié, « malgré les tristesses et les douleurs de l'heure présente », proteste contre le pessimisme et espère un retour de vie dans son Église. « Nous vivons beaucoup trop, dit-il, dans les fictions et les réserves de la diplomatie; il y a beaucoup de dissimulation, de convention, de fausseté dans notre atmosphère religieuse. » Le zélé professeur demande du courage et de la franchise, et il en montre lui-même en disant aux ministres rationalistes : << Il est des fruits secs de sacristie qui ne mettraient jamais le pied dans une église si leurs parents malavisės ne les avaient pas voués au sacerdoce. Ils se croient à la tête du progrès... Il convient d'oser dire à ces dévoyés, s'imaginant être des pères de l'Église, parce qu'ils sont les contempteurs-nés de tout ce qui est religieux, qu'ils ignorent encore l'A b c de la religion... Le protestantisme a perdu son écaille intellectuelle depuis longtemps, et voilà pourquoi il est l'objet de tant d'avanies de la part du moindre carpillon; mais il la reconstituera, son écaille, et vous qui êtes jeunes encore, vous verrez de nouveau ce qu'il peut faire. Quant à moi qui ai déjà passé de longues années à être battu, je ne suis pas encore abattu. A quelque heure que le Maître m'appelle, j'aurai déjà goûté la suprême satisfaction de Mithridate mourant :

Et mes derniers regards ont vu fuir les Romains 1.

1 Revue de théologie, 1883,
p. 36.

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Cet espoir est loin d'être fondé; aucune force protestante n'est capable de remonter le courant rationaliste qui entraîne, pierre après pierre, les assises de l'Évangile. Mais il est une réflexion qui s'impose ici avant toute autre la religion n'est pas un calcul d'avenir, c'est un besoin du présent; il la faut au monde, non pas demain, non pas l'an prochain, mais aujourd'hui même. Qu'importe aux générations qui descendent à chaque heure dans la tombe, de penser que les générations futures auront de meilleures consolations qu'elles? Si elles sont perdues aujourd'hui, le sort de leurs descendants ne réparera pas le leur. La moisson mûre n'attend pas, il lui faut des ouvrier3 sans délai. Mais si vous vous déclarez incapables de « recueillir la moisson » du dix-neuvième siècle, c'est en vain que vous croiriez être prêts pour celle du vingtième. Une religion, une Église est faite pour son temps; celle qui ne ferait qu'escompter l'avenir ne serait qu'un agiotage effroyable pour les âmes. Il est dans la nature même de la vraie religion de ne pas subir de défaillance, d'être toujours au niveau de sa mission, parce que sa mission est un besoin de tous les instants; c'est pourquoi Jésus-Christ a promis l'indéfectibilité à son Église, et une Église qui, par le trouble intérieur de ses croyances et les dissensions doctrinales de ses ministres, s'avoue, ne fût-ce qu'un jour, incapable d'être le phare et le port assuré de l'humanité, ne peut pas être la vraie Église de Jésus-Christ.

Et pourtant le protestantisme se perpétue, malgré ce tourbillonnement de ses doctrines; comme ces nuages que la tempête chasse dans les airs, il va et vient, obscurcissant toujours le ciel. C'est le combat des électricités contraires. C'est la dispersion sans limites. Il semble

que Dieu veuille se venger visiblement de la révolte religieuse du seizième siècle, en permettant qu'elle dure dans une irrémédiable confusion; il n'y a pas en effet de plus éclatant châtiment de l'orgueil humain, que d'être donné en spectacle d'impuissance sur le terrain même où il avait voulu dresser son triomphe. C'est Simon le magicien précipité des airs et venant se broyer le corps devant la foule, pendant la prière de saint Pierre. L'histoire n'offre qu'une analogie que l'on puisse rapprocher de l'existence du protestantisme, c'est celle du peuple juif. Ses tribus sont dispersées sous tous les horizons; elles ont subi tous les opprobres à travers les siècles; leur tente dressée quelque part est souvent renversée par les émeutes populaires, et elles doivent chercher asile dans d'autres régions qui ne leur seront pas plus clémentes de toutes les cités, c'est Rome qui leur rendit la vie la plus sûre et la plus douce. Or, malgré ce déplacement perpétuel, cette vie errante et brisée, la nation juive demeure; mais on sait que cette permanence même est un châtiment du ciel. Le protestantisme demeure, sous des tentes non moins mobiles ni moins dispersées. Est-ce aussi un châtiment? Mystère que je ne puis approfondir! Plaise à Dieu, du moins, qu'il devance le peuple juif dans la conversion finale!

sionnel.

CHAPITRE III

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Deux obstacles aux conversions : l'organisation nationale des Églises protestantes et leur tradition autoritaire. Patriotisme confesEmpire évangélique de Berlin. Liberté religieuse refusée aux chefs d'État. Bible abandonnée et non comprise. Défaut du prêche. - Ignorance du peuple.

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- Protestantisme

sauvegardé par cette ignorance. Inutilité des controverses avec les ministres. Conférences de Divonne entre l'abbé Mermillod et les ministres de Genève. Refus des protestants de paraître au concile de Trente.

Le spectacle des défaillances doctrinales du protestantisme laisse des impressions bien sombres. Quoi de plus triste que de voir des générations humaines s'éloigner toujours plus de l'Evangile et s'endurcir dans leur égarement, comme les peuples de l'Afrique et de l'Orient, autrefois si chrétiens, aujourd'hui pliés sous le fatalisme musulman! Je voudrais rencontrer de meilleures espérances, mais le problème du retour des nations protestantes à la foi de Jésus-Christ me paraît si ardu qu'il faudrait des prodiges de la miséricorde divine pour le résoudre. Deux obstacles principaux se dressent sur le chemin des consciences : le premier, c'est l'organisation nationale des Églises protestantes; le second, c'est la tradition autoritaire qui domine ces Églises. Il y a là comme un double rempart à franchir, l'un politique, l'autre religieux; quelques chrétiens de forte volonté et d'esprit réfléchi peuvent briser cette barrière, les masses populaires

ne le pourraient pas sans une secousse profonde qui est, hélas ! bien difficile à produire dans nos temps de matérialisme et d'indifférence religieuse.

Le schisme du seizième siècle ne dut ses succès malheureux qu'à la force du bras séculier. Né d'une période de trouble et de luttes sanglantes, il a conservé ce caractère de conquête et de victoire qui flatte l'amour-propre d'un peuple. Il a coïncidé d'ailleurs avec la formation des États modernes, et il a cherché à se donner pour le créateur de cette évolution sociale, due à d'autres causes. Les nationalités issues des traités de Westphalie, comme celles qui furent mêlées à la guerre de Trente ans, semblaient avoir reçu le baptême du protestantisme, et le principe nouveau de la suprẻmatie religieuse du chef de l'État : Cujus regio, hujus religio, liait tellement l'idée de religion à l'idée de patrie, que l'abjuration de la religion officielle était considérée et souvent punie comme crime politique. Les lois, les institutions, l'éducation publique façonnaient les esprits à cette croyance que l'on était redevable au protestantisme de tous les bienfaits, de l'existence même de la patrie. Joignez à cela l'antagonisme national contre les pays avec lesquels il avait fallu soutenir des guerres plus ou moins aggravées par la diversité de religion, et vous aurez l'explication de ce patriotisme confessionnel qui, tout récemment encore, faisait donner le nom d'Empire évangélique à l'empire fondé par M. de Bismarck.

Pour les catholiques aussi, les traditions nationales sont une force. Un cœur français vibrera toujours au souvenir du baptême de Clovis et des vertus de saint Louis. Les fils des croisés ont la fierté de ne pas reculer devant les fils de Voltaire. Il y a des gloires que les peuples

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