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catholiques doivent à leur religion même, et ce sont les plus durables. La France ne saurait trouver un titre plus noble que celui de « Fille aînée de l'Église » ; avant de placer sa couronne royale sur la tête de Henri IV, elle voulut y voir la couronne du baptême catholique. Mais entre ces sentiments et l'esprit national protestant il existe une différence essentielle. Le citoyen catholique voit sa patrie agrandie et comme doublée, quand il contemple la gloire qu'elle tient dans l'immense concert des peuples chrétiens; il appartient à son pays, et son pays appartient à une patrie supérieure qui doit embrasser l'univers entier, qui plane au-dessus des égoïsmes de frontières et élève tous les hommes à la sublime fraternité apportée au monde par le Rédempteur. De même qu'un canton suisse, outre sa souveraineté propre, participe à la souveraineté supérieure de la Confédération, de même les États catholiques, outre leur nationalité politique, participent à la grande confédération des peuples qui est l'Église de Jésus-Christ: et cette confédération spirituelle les élève, les unit, les associe tous également à la gloire de la civilisation fondée par elle, comme la Confédération helvétique associe indistinctement tous les cantons, même les derniers venus, à ses conquêtes antiques et à sa protection maternelle. C'est donc, je le répète, une double patrie que le catholicisme ouvre à ses enfants; la fidélité à l'une est un gage de fidélité à l'autre loin de se combattre, elles se soutiennent mutuellement. Le catholique se rattache aux illustrations de son pays comme à celles de l'Église universelle; à travers le cours des siècles, il se retrouve en communauté de foi avec tous les saints, tous les docteurs, les martyrs, les apôtres, avec Jésus-Christ enfin. C'est le cortège de

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tout ce que l'humanité a eu de parfait, de brillant, d'héroïque; le citoyen ne peut pas ambitionner de trophée plus glorieux, pour le drapeau de sa nation, que d'y inscrire le titre de catholique. Lorsque l'empereur Constantin distribua le Labarum à ses légions, il donnait au patriotisme une flamme nouvelle, puisée au ciel même : IN HOC SIGNO VINCES.

Il n'en est pas de même du protestantisme. Loin d'agrandir la patrie, il la rétrécit. C'est une religion territoriale, qui concentre tout au siège du pouvoir politique et ne crée pas des horizons plus étendus que celui de la frontière nationale. Le protestantisme français, disséminé dans un peuple catholique, est peut être celui qui a eu le moins de vie propre; il chercha toujours force et secours à l'extérieur, et c'est pour lui surtout que Genève pensa devenir autrefois la Rome protestante'. Les relations qui ont pu exister

1 M. Eugène Ritter, professeur à l'Université de Genève, écrivait à ce sujet les lignes suivantes, dans l'Alliance libérale, organe des protestants libéraux, numéro du 6 juin 1885 :

Notre ville, quand elle s'est séparée de la France, dans les derniers jours de 1813, a renoncé à demeurer la capitale d'une grande opinion ». Voyez le Consistoire de Paris et celui de Genève, et comparez l'influence qu'ils possèdent hors de leurs circonscriptions respectives. Le premier en a beaucoup et en aura toujours davantage; le second n'en a point et ne saurait en espérer. C'est une affaire finie pour nous. Notre Consistoire a supplanté la Vénérable Compagnie des pasteurs dans l'administration de nos affaires ecclésiastiques intérieures; il n'a pas su lui succéder dans cette espèce de primatie des Gaules » qu'elle a longtemps exercée.

Le groupe de millionnaires et la pléiade d'hommes de talent qui conduisent à Paris les affaires du protestantisme français, ne viennent pas chercher le mot d'ordre dans notre ville, comme on l'a fait dans les siècles derniers, et encore à l'époque du premier Empire.

Adolphe Monod et Alexandre Vinet, les deux plus grands

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entre les Églises de divers pays ne sont pas des relations d'unité ou de hiérarchie, ni de fraternité vraie; là même où la Réforme fut établie par un pouvoir étranger, comme dans le canton de Vaud, il ne subsiste aucune déférence et souvent aucune reconnaissance pour cette filiation: au contraire, les Vaudois ont gardé jusqu'à nos jours une aversion persistante pour les Bernois du seizième siècle et leurs héritiers. Les anciennes confessions de foi Confession d'Augsbourg, Confession helvétique, etc., n'ont pu fonder des groupements durables; et les congrès ou réunions pastorales de nos jours, les Alliances Évangélique ou Libérale ressemblent plutôt à ces expositions internationales, destinées à provoquer la concurrence et non l'unité des peuples. La seule chose qui fasse corps pour l'Église protestante, c'est son organisation nationale : elle n'a pas d'assises hors de la loi qui l'institue, la régit et la nourrit ; elle suit les péripéties de la loi; la vie politique pénètre et absorbe la vie religieuse, en sorte que l'on se croit lié au protestantisme aussi nécessairement qu'on l'est à l'État, et le patriotisme tient lieu de religion. Pour

noms du protestantisme de langue française dans la première moitié de notre siècle, n'étaient pas de notre ville. M. Bersier, M. de Pressensé occupent dans le protestantisme contemporain une place plus en vue que celle d'aucun Génevois. La Revue de théologie dite de Strasbourg, la Bible de M. Reuss, l'Encyclopédie des sciences théologiques de M. Lichtenberger, ne sont pas des publications génevoises.

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«Que le lecteur instruit se reporte par la pensée, je ne dis pas au seizième siècle, puisqu'il est clair qu'on ne peut pas avoir un Jean Calvin à chaque génération, mais au dix-septième siècle, au dix-huitième : il reconnaîtra que Genève avait alors, au sein du protestantisme de langue française, une prépondérance qu'elle n'a plus aujourd'hui. Notre ville a cessé d'être la Rome protes

tante. »

comprendre jusqu'à quel point une telle confusion peut égarer les esprits, il suffit de se rappeler le trait que le cardinal Pacca, ancien nonce en Allemagne, citait dans un discours à l'Académie de la religion catholique, à Rome, le 27 avril 1843: « Après la mort de Frédéric II, roi de Prusse, plusieurs ministres protestants n'eurent pas honte, en administrant le baptême aux enfants, de substituer au nom adorable de l'auguste Trinité le nom de ce monarque incrédule qui venait de mourir. »

Le premier résultat d'un tel système est de détruire l'esprit religieux. Un monarque très-intelligent et trèsdésireux des progrès de l'Église protestante, le roi de Prusse Frédéric-Guillaume IV, a fait l'aveu suivant, cité par Dællinger1 :

« Le système territorial et l'épiscopat des souverains d'un pays sont tellement nuisibles, qu'un seul de ces principes suffirait pour tuer l'Église, si elle pouvait périr... Je soupire de toutes les forces de mon âme après le moment où je pourrai renoncer à mon droit épiscopal suprême et le remettre à des évêques, de quelque nom qu'on veuille les appeler. »

Mais, d'autre part, l'Église protestante ne veut pas consentir à séparer son organisme de celui de l'État : elle n'a plus de ralliement possible que dans le cadre officiel national; elle se gardera donc bien de le briser. De là, le second résultat du système, qui est d'empêcher tout mouvement de retour général vers le catholicisme. Pour que ce mouvement se produisit, il faudrait qu'il partit des pouvoirs politiques eux-mêmes, du monarque dans les États monarchiques, des corps

1 L'Église et les Églises, p. 303.

constitués de l'État dans les républiques. Si la reine d'Angleterre ou l'empereur d'Allemagne se convertissaient, on verrait bientôt la nation les suivre en masse, et l'exemple seul du chef spirituel et temporel de l'État suffirait à donner l'impulsion. C'est pourquoi, dans un généreux élan de confiance, Mgr Rendu, évêque d'Annecy, adressait à ce même Frédéric-Guillaume IV, dont nous avons donné le témoignage plus haut, son admirable Lettre au roi de Prusse, pour la réunion de l'Église protestante à l'Église catholique. « Comment procéder à l'exécution d'un projet si difficile? concluait l'éminent prélat. Toute notre confiance repose dans les lumières, la prudence et la sagesse de Votre Majesté. Oh! si dans une œuvre qui intéresse à un si haut point la société tout entière, les deux puissances de la terre mettaient en commun la profonde sagesse et la juste influence que le ciel leur a départies, il ne faudrait pas un seul instant douter du succès. Ce n'est pas de la force que demande une telle entreprise, elle n'a jamais fait que du mal à la religion, quand elle a voulu la servir. La religion ne peut entrer franchement dans les cœurs que quand elle a pour compagnes la lumière et la liberté. Encourager l'instruction religieuse et la laisser faire, voilà tout ce que demande la liberté pour aller au triomphe...

« Si quelques bons et saints prêtres, approuvés par le Souverain Pontife et avec l'assentiment de Votre Majesté, allaient, dans quelque ville de la Prusse, ouvrir une Église de réformés unis, ou de toute autre dénomination capable de diminuer la défaveur qui s'attache à un changement de religion, cette Église serait bientôt florissante. Il ne s'agirait point, pour ces nouveaux missionnaires, d'attaquer les doctrines pro

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