Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Il faudrait applaudir à ces manifestations, si elles avaient eu pour résultat de ranimer l'esprit de foi dans les pays protestants. Même lorsqu'il est égaré, le sentiment religieux est meilleur que l'irréligion. La différence est grande entre une société qui craint Dieu, mais se trompe sur les moyens de l'adorer, et une société qui dédaigne toute croyance surnaturelle. Dans l'une, il reste l'étincelle que l'Évangile défend d'étouffer, et «< la mèche qui fume encore » peut redevenir aisément le brillant flambeau; dans l'autre, tout est froid, tout est mort, et comment y faire renaître la vie? Il est plus difficile de rendre la foi à une âme qui l'a totalement perdue, que de relever Lazare de son tombeau. Pour ressusciter la foi, il ne suffit pas de la puissance divine, il faut la coopération, le consentement de la volonté humaine, et cette volonté devient d'autant plus rebelle qu'elle s'est plus enveloppée d'incrédulité, tandis que pour ressusciter un mort, le bras de Dieu ne rencontre aucun obstacle.

Plus il y aura de croyances dans le protestantisme, plus il lui restera de points de contact avec cette grande Église qui n'a jamais connu de défaillances, qui est le christianisme intégral, avec l'Église catholique, apostolique et romaine. Ces points de contact, s'ils ne suffisent pas seuls à marquer la vraie voie du salut, en rapprochent du moins, et laissent espérer que l'on pourra se tendre une main fraternelle par-dessus les divergences pour reconstituer cette unité religieuse qui fut l'objet de la prière si ardente de Jésus-Christ : « J'ai d'autres brebis qui ne sont point de ce bercail, il faut que je les amène, et elles entendront ma voix, et il n'y aura qu'un bercail et qu'un pasteur.» (SAINT JEAN, ch. x, v. 16.)

:

La première génération de protestants conservait un fond commun de croyances avec les catholiques. Le schisme ne portait que sur quelques points, essentiels il est vrai, mais peu nombreux. Et loin de vouloir agrandir la rupture, les protestants cherchaient à la restreindre, à revenir en arrière. Ils ne pouvaient s'habituer à la pensée de former une Église à part; pendant un siècle, ils ont lutté contre cette idée de séparation absolue les colloques, les diètes, les confessions de foi, les écrits de cette époque en sont un émouvant témoignage. Ils reprochaient à l'Église catholique de les condamner, de les rejeter de son sein. L'origine de leur Église rappelle bien moins l'enfant prodigue désertant volontairement la famille, que l'histoire d'Agar repoussée de la maison d'Abraham par l'ordre de Dieu. Il fallut en arriver à cette douloureuse extrémité; car la maison de Dieu, pas plus que celle d'Abraham, ne pouvait abriter la contradiction en permanence. L'Église n'y a pas mis de la précipitation; elle a épuisé ses moyens de conciliation, et ce n'est que cinquante ans après les premières révoltes de Luther, qu'elle prononça ses sentences définitives, par la promulgation du concile de Trente.

Depuis lors, que sont devenues les croyances protestantes? C'est une voix officielle de l'Église de Genève qui va nous répondre; M. le ministre Chantre écrivait dans l'Alliance libérale, journal religieux de Genève, le 5 novembre 1882 :

« Nos Églises s'apprêtent à célébrer demain la fète de la Réformation, et le retour de cette solennité nous suggère quelques réflexions.

« La première, c'est que, par un mouvement irrésistible, les doctrines qui furent proclamées au seizième

siècle par nos ancêtres spirituels, comme la vérité, la vérité absolue, la vérité divine, s'en vont rapidement aujourd'hui. Il suffit de les nommer: la Trinité, l'Expiation, la Prédestination, etc., pour prouver qu'elles ne sont plus populaires, ni auprès des ecclésiastiques, ni auprès des laïques protestants.

« On nous racontait récemment l'étonnement naïf d'un pasteur calviniste, venu du fond de l'Allemagne à Genève, dans le but de s'épanouir en la société de ses pareils, et qui s'en est allé tout triste de n'avoir plus trouvé, même à Genève, un seul calviniste réellement calviniste.

« Si ce pasteur avait bien cherché, peut-être auraitil enfin rencontré son calviniste introuvable. Il a eu tort de se décourager trop vile, mais ce tort s'explique pour qui sait que, soit les libéraux, soit les chefs de l'évangélisme, lui ont déclaré qu'ils n'acceptaient plus, ni les uns ni les autres, les doctrines jadis formulées et enseignées par Calvin.

« Le fait est général. Partout, avec plus ou moins de franchise, plus ou moins de clarté, les grandes doctrines de la Réformation sont abandonnées au sein des

Églises protestantes. Déjà, au siècle dernier, un grand mouvement s'était produit contre elles, mais elles avaient toujours conservé leur prestige et des adhérents en nombre respectable. Aujourd'hui, après le réveil qui semblait devoir leur donner une nouvelle vie, elles perdent rapidement, et le terrain regagné, et le terrain conservé. Tandis qu'une minorité du monde protestant, soit en Angleterre, soit en Allemagne, soit ailleurs, se rapproche à bien des égards des principes catholiques, la grande majorité des réformés (évangéliques et libéraux) modifient, transforment, abandon

nent, combattent même, les anciennes croyances de l'orthodoxie protestante. »

Puisqu'il en est ainsi, que peuvent signifier les fêtes centenaires des origines du protestantisme? Elles n'auraient de sens que si elles marquaient un retour aux doctrines du seizième siècle. Mais ce n'est point cela. Seraient-elles du moins un hommage aux premiers « ancêtres spirituels » ? Mais ce n'est pas honorer Luther et Calvin que de battre en brèche leurs doctrines, et l'on a tort de les considérer comme « ancêtres spirituels » en reniant ce qu'ils ont proclamé « comme la vérité, la vérité absolue ». Il nous reste donc à dire des centenaires actuels ce que de Maistre écrivait déjà de celui qui fut célébré en Allemagne en 1817 :

« L'action du catholicisme se fait sentir aux hommes les plus inattentifs comme un ressort longtemps comprimé, il se détend avec une force nouvelle et repousse la main profane qui l'assujettissait. Le protestantisme peut dire de son ennemi ce que Thomas a dit du temps :

Son vol impétueux me presse et me poursuit.

L'hérésie, ainsi pressée et poursuivie, se voit mourir elle vivait de haine; mais, par le suicide le plus heureux, elle s'est égorgée elle-même, en créant l'indifférence religieuse. Elle sent bien qu'en perdant cette force fiévreuse qui l'animait, elle perd la vie : elle veut donc faire bonne mine, et, dans un accès de joie désespérée, elle célèbre sa fête séculaire 1. »

"

Les ministres protestants continuent cependant de s'appeler « ministres du saint Évangile »; ils enseignent qu'eux seuls possèdent la vraie foi; ils disent que,

1 DE MAISTRE, Lettres et opuscules inédits, t. II, p. 361.

s'ils ont renié les doctrines de Luther et de Calvin, ils conservent leur esprit qui est « un esprit d'indépendance spirituelle »; ils prétendent retrouver ainsi la pureté primitive du christianisme, que l'Église romaine aurait perdue; ils s'attachent surtout à défigurer les dogmes et l'histoire de cette Église, à lui prêter de noires intentions, à la faire redouter, comme une ennemie terrible de toutes les libertés et de la dignité humaine; ils élèvent la jeunesse avec cet aliment obligatoire des faussetés et des préventions '. L'enseignement religieux des ministres ne donne à peu près plus de croyances positives; son but principal est d'ancrer fortement dans les esprits la protestation contre l'Église catholique, en sorte que si les générations protestantes modernes ne savent plus rien croire avec foi, elles savent d'autant plus instinctivement repousser la lumière qui pourrait leur venir de l'enseignement catholique. C'est chez elles une force d'habitude et comme une seconde nature qui transforme la vraie nature de la raison, créée pour connaître et aimer la vérité seule.

1 Le Catéchisme élémentaire composé par M. OLTRAMARE, ministre de l'Église de Genève, contient trente pages, sur 112, sous le titre : Erreurs et abus de l'Eglise romaine. On y lit par exemple ceci (p. 102): « Le clergé démoralise le peuple en lui faisant accroire qu'avec de l'argent on obtient la faveur de Dieu et l'entrée au ciel. » Comment un ministre ose-t-il tromper ainsi de jeunes enfants, après leur avoir dit (p. 39): « Les catéchumènes doivent apporter à leur instruction religieuse le sérieux qu'elle réclame !... » Il est vrai que ce ministre est lui-même d'une ignorance excessive; il va jusqu'à confondre la cérémonie de bénédiction des cloches avec le baptême des chrétiens; voici en effet ce qu'il fait étudier aux catéchumènes génevois :

« D. Le clergé romain ne profane-t-il pas aussi le baptême? R. Oui, il le profane, en l'administrant à des choses inanimées, aux cloches, par exemple. » (Catéchisme, p. 100, 4o édit., 1877.)

« AnteriorContinuar »