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s'affermir davantage dans leurs erreurs. Ils disent quelquefois qu'ils aiment la vérité et qu'ils la recherchent; mais ils n'aiment que leur propre sentiment, et ils cherchent à se persuader à eux-mêmes qu'il est la vérité. C'est de cette classe de personnes que saint Augustin disait (Conf., 1. X, c. xXIV) : « L'amour de la vérité est de telle nature que ceux qui aiment un autre objet veulent que cet objet aimé soit la vérité. » Devenus maîtres d'erreur dans la chaire de pestilence, ces hommes maintiennent les peuples dans un déplorable aveuglement 1. "

Par cette personnification du protestantisme qu'ils portent en eux, les ministres sont aussi rendus plus réfractaires à la vérité catholique. Sans qu'ils voulussent même y mettre de la mauvaise volonté, ils doivent éprouver un certain sentiment de paternité pour leur doctrine; car ils se la sont faite eux-mêmes, ils ne l'ont pas reçue d'une autorité supérieure. Ils ne peuvent pas dire comme le Seigneur Jésus: «Ma doctrine n'est pas de moi, mais de celui qui m'a envoyé 2. » Ils doivent dire au contraire: Ma doctrine est de moi, je ne la tiens de personne; et alors ils tombent dans l'inconvénient très-grave que Jésus signale en ajoutant : « Celui qui parle de lui-même cherche sa propre gloire; mais qui cherche la gloire de celui qui l'a envoyé, celui-là est vrai 3. "" Qui ne sait combien l'homme se passionne pour ses propres idées, pour ce qu'il croit avoir découvert lui-même? Et cette passion est rarement conseillère de l'impartialité, parce que, comme toute passion, elle se nourrit aux dépens de la liberté

1 Mémoires historiques du cardinal Pacca, p. 155.

2 SAINT JEAN, ch. VII, V. 16.

3 Ibid., v. 18.

de l'esprit. Aussi l'on peut observer que l'attachement des ministres à leur protestantisme est d'autant plus fort et inébranlable qu'ils ont plus secoué le joug des confessions de foi et de la subordination hiérarchique. Là où l'Église est démocratisée, où le rationalisme a pris le pas sur l'Évangile, il est excessivement rare de voir un pasteur se convertir. Ces conversions de pasteurs nous viennent presque toutes de l'Angleterre et des pays du Nord, où l'autorité hiérarchique et les confessions de foi sont maintenues 1. Plus l'élément personnel domine dans la religion, plus sont tendues les chaînes de l'amour-propre et de l'obstination.

De là encore la difficulté et presque l'impossibilité d'arriver à des résultats utiles par des disputes théologiques avec des ministres. Un saint évêque, à qui Monique demandait de convaincre son fils 'Augustin des erreurs manichéennes, refusa d'entrer en discussion avec Augustin, parce que, dit-il, on ne pourrait pas triompher de l'obstination de son esprit; il se contenta de prier et de faire prier sainte Monique, en ajoutant : <<< Il est impossible qu'un fils pleuré avec tant de larmes périsse jamais. » A plus forte raison faut-il désespérer de triompher des erreurs modernes par des dis

1 Le journal canadien la Minerve publiait ce qui suit (août 1875): « Un ministre protestant informait dernièrement ses ouailles, dans un sermon à Toronto, à l'occasion de la fête des orangistes, que la religion catholique faisait de rapides progrès au détriment des sectes protestantes.

D'après les données de ce ministre, il paraîtrait que, de 1842 à 1864, plus de cinq cents ministres de l'Église d'Angleterre se sont convertis au catholicisme; en outre, plus de 1,100 personnages du clergé anglican ont présenté des requêtes dernièrement, dans le but d'unir l'Église d'Angleterre à l'Église romaine. »

2 POUJOULAT, Vie de saint Augustin, t. Ier, p. 9.

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cussions publiques. Ces disputes réussissent d'autant moins qu'elles mettent les ministres plus en évidence et, par conséquent, plus en garde contre la vérité. Bossuet n'a converti ni le ministre Claude, ni le ministre Jurieu par ses conférences, ni Leibnitz par sa correspondance publique. Mademoiselle de Duras se convertit à la suite des conférences entre Bossuet et le ministre Claude; mais celui-ci resta inflexible et contesta même l'exactitude du récit donné par Bossuet. Il n'en fut pas autrement des conférences de Divonne 1, entre l'abbé Mermillod et le ministre Bungener, ni même de celles de saint François de Sales avec Théodore de Bèze, ou de celles du moine Furbity, sur la place du Molard, au début du protestantisme à Genève.

Ces tournois ne peuvent pas aboutir, parce qu'il n'y a pas un juge du camp pour clore le combat et fixer la victoire. Un pasteur n'avouera pas à ses ouailles qu'il a été battu par un curé, par un professeur. Il portait le drapeau de son Église comment consentirait-il à reconnaître qu'il a tout perdu! La conséquence serait qu'il faut abjurer et passer, pasteur et troupeau, au catholicisme. Vous me direz que le controversiste catholique doit être entraîné par les mêmes raisons à s'attribuer le triomphe, coûte que coûte, sur son adversaire. Cela prouverait tout au plus que la solution des questions religieuses ne saurait se trouver dans ces dis

1 A la fin des conférences de Divonne, il y eut la conversion de quelques membres d'une famille notable du canton de Vaud et d'une dame luthérienne suédoise, qui était aux bains de Divonne. L'un des ministres présents à la conférence dit à part à M. l'abbé Mermillod « Je n'aime pas ces discussions, parce qu'elles laissent l'âme dans le trouble. » Au reste, après le premier jour de discussion, les ministres ne voulurent pas reprendre la conférence le lendemain.

putes. Mais, il y a cependant une différence en faveur du catholique c'est qu'il se présente à la discussion avec un caractère moins personnel, et, par conséquent, avec moins de passion. Ce qu'il vient défendre n'est pas sa propre création, son œuvre personnelle; c'est un trésor indépendant de lui. Il se place à un point de vue objectif. Il sait que le trésor ne risque rien, quand même la réponse immédiate à une objection captieuse lui manquerait. Il est là comme représentant d'une société qui en sait plus que lui et le relèverait de sa défaillance accidentelle, s'il en éprouvait une. Le controversiste catholique ne pose pas en maître, mais en disciple: il n'a qu'une chose à prouver, c'est que la foi de son Église a droit à son adhésion complète et à celle de tout homme de raison, parce qu'elle est la foi uniforme et invariable de tous les siècles chrétiens, des apôtres et du souverain maître Jésus-Christ. Ce rôle est très-humble et sans danger.

Tel n'est pas l'avantage du controversiste protestant. Il se présente au combat au nom des idées personnelles sur lesquelles il a bâti sa réputation et sa secte; il est là comme la haute intelligence, la raison dernière de son camp. S'il trébuche, tout est perdu : on n'aura pas recours à plus savant, plus habile que lui pour rétablir l'honneur de la partie. Il n'y a pas derrière lui une foi ferme, assise, séculaire, immuable. Toutes les destinées de son Église se jouent sur sa tête. C'est comme si le sort de deux armées ennemies était dévolu un instant à un duel entre le simple soldat d'un camp et le général de l'autre. Celui-ci jouerait la destinée de son armée qui resterait désorganisée et sans chef, s'il tombe, tandis que le simple soldat de l'autre camp ne joue que son sort personnel, qui laisse intacte la

position de son armée : ce serait presque le combat de Goliath et de David. La partie ne serait évidemment pas égale. Elle ne l'est pas davantage dans une dispute publique entre un ministre protestant et un théologien catholique. Si grande que soit la science de celui-ci, il n'est qu'un simple soldat dans l'Église de JésusChrist, tandis que le ministre n'a rien de plus haut que lui-même dans la sienne. Singulier phénomène! Le ministre n'est revêtu d'aucune consécration réelle, d'aucune autorité établie; il ne représente son Église que par une convention tacite, par une élection populaire ou une nomination révocable. Le prêtre, au contraire, est un organe essentiel du corps de l'Église; il est consacré par le sacrement de l'Ordre; il tient une place assignée par Jésus-Christ dans la sainte hiérarchie. Mais précisément parce qu'il représente quelque chose de plus grand, son rôle individuel est moins important, sa personnalité s'efface sous la dignité, qui n'est. pas de lui. Mettez-le dans le champ clos d'une dispute théologique, son adversaire ne tiendra en lui qu'un simple disciple de la foi universelle, tandis que le prêtre tiendra dans son adversaire le chef et le maître. docteur de la famille protestante. Le ministre expose donc tout en s'exposant lui-même; il vient moins soutenir une vérité que défendre un poste et des intérêts personnels. La lutte n'est pas égale; le point de vue ou l'objectif des deux combattants est totalement différent. Il est dès lors extrêmement difficile, si ce n'est impossible, de trouver cette rencontre loyale où le ministre devrait dire : Oui, je l'avoue, le bon sens, la raison logique, l'histoire, la foi permanente des siècles, les monuments apostoliques, la parole vraie de l'Évangile m'obligent à croire que Jésus-Christ a constitué

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