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Comment ne pas être ému à la vue de tant d'ames retenues dans les liens de l'erreur par le seul fait de leur éducation première! Saint Grégoire de Nysse, qui a soutenu sa grande part des luttes contre l'arianisme, exprimait par une comparaison bien vive le malheur de ces âmes. « Un enfant, dit-il, qui serait né dans un « cachot, prendrait pour quelque chose de bon et de grand ces ténèbres dans lesquelles il a été nourri et « élevé; mais lorsqu'il arriverait tout à coup à jouir « de la clarté du jour, il changerait bien vite d'avis : il « condamnerait sa première opinion, et, pour excuse « d'avoir pu estimer l'obscurité de son cachot au-dessus << du brillant spectacle du soleil, des étoiles et de toutes « les beautés du monde, il alléguerait son ignorance, qui l'avait empêché d'avoir connaissance et expérience « de rien qui fût meilleur'. »

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C'est la connaissance de quelque chose de meilleur que le catholicisme offre aux protestants. Mais leur curiosité, si ouverte à toutes choses, est fermée à cellelà. Pour la plupart le catholicisme est comme cet autel d'Athènes où était écrit : « Au Dieu inconnu » ; ils n'en veulent rien savoir. Et pourtant on peut dire d'eux ce qui est dit des Athéniens (Actes des Apôtres, XVII, 21) Tous les Athéniens et les étrangers << demeurant à Athènes ne s'occupaient qu'à dire ou « à entendre quelque chose de nouveau. Ainsi, étant « au milieu de l'aréopage, Paul dit Athéniens, je « vous vois en toutes choses religieux jusqu'à l'excès. » -N'est-ce pas, en effet, l'excès, c'est-à-dire le trouble du sentiment religieux, qui produit ces étonnantes manifestations de l'Armée du Salut en Angleterre et en

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1 Saint Grégoire DE NYSSE, 1er Traité sur les psaumes, ch.

VI.

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Amérique? Que veulent ces masses populaires excitées, sinon une religion meilleure que les débris desséchés du protestantisme? Et quelle est la force qui remue ces masses, sinon le sentiment du surnaturel réveillé tout à coup par des appels insolites, il est vrai, mais trop bien fondés à la crainte des châtiments éternels?

A Genève, il a suffi de l'apparition d'une jeune fille anglaise portant le nom de maréchale Booth, pour jeter l'affolement dans les cercles les plus pieux du protestantisme, dans les membres mêmes du gouvernement qui décrétèrent, comme mesure de salut public, l'expulsion de tout cet état-major de l'Armée du Salut. Le trouble était entré dans une multitude de consciences, et ces terreurs soudaines, sans contre-poids de doctrine et de moyens de réconciliation avec Dieu, conduisirent bon nombre de personnes jusqu'à l'asile des aliénés. Madame la comtesse Agénor de Gasparin descendit ellemême dans la mêlée pour essayer d'arrêter cette déroute générale des esprits. Elle décrivait ainsi l'entraînement qui s'était emparé de la vieille cité protestante :

« L'Armée arrive, l'Armée fonctionne. On court au spectacle, on court à la nouveauté! Les cabarets ne sont pas désertés; en revanche, beaucoup d'associations pieuses, beaucoup d'unions de prières, beaucoup de lieux d'édification, beaucoup de secours spirituels sont dédaignés (le même fait se produit en Angleterre); beaucoup de têtes sont affolées, beaucoup de cerveaux renversés, beaucoup d'esprits dégoûtés de la vie saine, beaucoup détournés des vocations modestes, beaucoup engagés dans un chemin d'aventures qui, certes, n'est pas celui du Christ. »

Puis, répondant aux excuses, elle ajoutait :

« Il y a des gens qui se sentent bénis dans ces exhi

bitions. C'est possible, même c'est certain... Il y a de très-intègres disciples du faux... Les gens qui se sentent bénis! mais Satan, dès qu'il se déguise « en ange de lumière », n'a pas de plus fanatiques séides que ceuxlà!... Ne me parlez pas des gens qui, se sentant bénis, font de leur sentiment le critère de la vérité. Les gens qui se sentent bénis! Mais je les connais, mais je les ai rencontrés sur tous les sentiers de l'erreur, disons mieux dans tous les sentiers du menteur'. »

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Tout cela est très-vrai. Mais comme on est pressé de rétorquer l'argument et de dire: N'est-ce pas là le tableau de toutes les variétés du protestantisme? L'Armée du Salut est une sœur cadette dans laquelle toutes les sœurs aînées doivent reconnaître leur sang et la ressemblance typique de famille. Toutes, en effet, « font de leur sentiment le critère de la vérité ». Toutes se précipitent depuis trois siècles « dans les sentiers de l'erreur et du menteur ». Le protestantisme n'est qu'une religion de sentiment : l'interprẻtation qu'il donne à des textes de l'Écriture Sainte pour se légitimer n'est qu'une impression sentimentale toute personnelle, en contradiction avec le sens littéral, le sens naturel et traditionnel de la parole de JésusChrist et des apôtres. La situation respective du protestantisme et du catholicisme se résume ainsi :

La foi protestante, de quelque côté qu'on l'aborde, ne peut se justifier ni par l'Evangile, ni par la tradition, ni par sa propre histoire ancienne et contemporaine, ni par la raison philosophique, ni par la conscience morale : elle ne peut satisfaire ni l'esprit qui veut posséder sûre

1 Armée (soi-disant) du Salut, par madame la comtesse Agénor de Gasparin, p. 70. Genève, 1883.

ment la vérité, ni le cœur qui veut assurer positivement son bonheur, ni les besoins de l'ordre social présent, ni les intérêts de l'éternité qui dominent tout.

La foi catholique, de quelque côté qu'on l'aborde, apparaît comme une citadelle élevée sur le roc de la montagne, visible à tous les regards, accessible à tous les

pas, inébranlable devant toutes les critiques les plus pénétrantes, majestueuse dans l'harmonie de ses proportions, resplendissante des pures lumières de l'Évangile, pleine de tous les trésors auxquels doivent aspirer l'esprit et le cœur de l'homme, la famille et la société, pour ce monde et pour la vie future.

Cette double thèse est démontrée depuis des siècles par toutes les autorités de la science théologique et de laphilosophie, par les aveux des protestants eux-mêmes, et par la logique des événements, qui est une preuve de fait, la plus frappante pour la masse du peuple : l'état de dissolution où se trouve le protestantisme actuel parle plus haut que tous les raisonnements. Après tant de voix éloquentes, je pourrais paraître présomptueux de faire entendre la mienne, qui ne vaut pas la peine d'être nommée. Mon excuse sera, d'une part, le soin de m'appuyer constamment sur des témoignages d'une valeur incontestée, d'autre part, cette parole d'un grand publiciste français : « C'est la gloire de l'homme qu'il ne peut voir la « vérité sans l'aimer, ni l'aimer sans vouloir la com<< muniquer aux autres comme une loi suprême et la « volonté même de Dieu '. »

Je sais que les multitudes, en nos jours, courent après d'autres biens que ceux de la religion. Mais

1 E. LABOULAVE, la Libertė religieuse, p. 4.

cette tendance même est pleine de conséquences effrayantes, et c'est ce qui ramène la question religieuse à la base de tous les grands problèmes sociaux qui s'agitent. La solution ne se trouvera que dans le catholicisme. Le 1er mai 1845, Victor de Laprade, l'illustre poëte et académicien, assistait à la bénédiction donnée Urbi et Orbi par le pape Grégoire XVI du haut du balcon de la basilique de Saint-Jean de Latran. Ce spectacle sublime lui ouvrit un de ces aperçus profonds, propres aux grands esprits; il écrivit :

« .....Le catholicisme a conservé la vie du cœur; et n'est-ce pas par le cœur que tout vit? Aucune autre puissance n'est douée de cette vie morale, de ce sentiment d'amour, de cette force de bénédiction, en un mot de cette charité qui est en lui. Or la science sans charité, l'industrie sans charité, n'enfanteront que le mal. Qui pourra remédier à ce mal, sinon le catholicisme? La charité, l'amour à l'état religieux, n'est nulle part ailleurs organisé et vivant..... Le catholicisme seul sera dans l'avenir l'asile de la liberté et de l'individualité humaine contre le socialisme oppresseur; lui seul conservera les droits du sentiment et même de l'imagination dans la société matérialiste et positive que l'industrialisme nous prépare. Il redeviendra dans le monde ce qu'il a été en commençant, une minorité d'hommes pleins de foi et pleins de pureté, une minorité fortement organisée, et il sera le point d'appui de tous ceux qui combattent pour la liberté contre le déspotisme du nombre, pour l'esprit contre la chair, pourla raison et pour l'idéal contre les passions et les intérêts'.>> Assurément la religion est avant tout une affaire per

1 Victor de Laprade, par E. BIRÉ, p. 129. (Paris, 1886.)

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