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fois, non plus de s'entendre sur les dogmes, de convenir d'un symbole commun, mais de se borner à une vague déclaration d'alliance et de venir tous camper sous une tente imaginaire, décorée du nom d'Église universelle, sans se demander les uns aux autres ce que l'on croit ou ce que l'on ne croit pas. Les doctrines ne compteraient plus pour rien; il suffirait de s'aimer et de se dire frères en Christ, tout en nourrissant dans l'esprit les croyances et les systèmes les plus diametralement opposés. Les anglicans, les protestants d'Allemagne et les schismatiques d'Orient ont tenté un commencement d'exécution de ce plan avec les vieux catholiques. En 1872, M. Dællinger fit à Munich une série de conférences à l'appui; elles ont été publiées en Angleterre et retraduites en français par une main que je laisserai se nommer elle-même dans la dédicace du livre. Comme preuve du grand désir de l'union, Dællinger cite trois ouvrages publiés récemment dans cet ordre d'idées : l'un, intitulé Pax vobiscum et écrit par un membre influent du clergé de la Franconie, invoque l'union des Églises comme seul moyen de résister au flot montant de l'incrédulité; l'autre, écrit par le prédicateur Schultze, de Berlin,

1 La Réunion des Églises, par Ignace DOELLINGER.

Dédicace.

« A ceux qui, dans la cathédrale de Berne, le 10 août 1879, ont pris part à la première réunion des Églises si longtemps divisées : Mgr Cotterill, évêque catholique anglican d'Édimbourg; Mgr Reinkens, évêque de l'Église ancienne catholique de l'Allemagne ; Mgr Herzog, évêque de l'Eglise catholique chrétienne de la Suisse ; M. Hyacinthe Loyson, recteur de l'Église catholique gallicane de Paris,

« J'offre la traduction française de ce livre.

Émilie HYACINTHE LOYSON. »>

approuve et accepte les doctrines catholiques dans une mesure telle que l'union serait faite aux trois quarts; le troisième enfin est du docteur Pusey et va plus loin encore que Schultze: il ne s'arrête qu'au culte de la sainte Vierge et des saints. Les ministres protestants espèrent trouver dans l'union un moyen de ressaisir quelque ascendant sur le peuple, car Dællinger se souvient de cette déclaration effrayante prononcée dans une réunion ecclésiastique : « Nous n'avons pas de troupeau avec nous; les neuf dixièmes du peuple ont passé à l'ennemi. »

<< Il est clair, ajoute Dollinger, que l'incrédulité, la haine de toute foi positive, ne suffisent pas pour expliquer ce phénomène. Le mal a des racines plus profondes. Le surintendant Hoffmann, prédicateur de la cour, à Berlin, a écrit récemment sur les « causes de l'hostilité contre l'Église en Allemagne ». Il en énumère plusieurs, mais, au premier rang, il place le vague et les contradictions des doctrines énoncées en chaire. L'impression produite par la lecture de cet ouvrage est que le mal est dans le manque de confiance et de respect des laïques pour le prédicateur, qu'ils considèrent simplement comme un homme enseignant dans la mesure de ses connaissances particulières et d'après son point de vue subjectif. Ils ne le sentent pas soutenu par le grand courant de la tradition chrétienne, ininterrompue depuis dix-huit siècles; sa voix n'est plus l'écho de celle de l'Église entière parlant au Christ; sa bouche ne proclame pas ce qui a été proclamé partout et toujours au nom du Seigneur. L'Église protestante ne gagnerait-elle pas en force et en autorité en s'unissant avec les anciennes Églises, et en rentrant par là dans la continuité de vie et de doctrine propre à la catho

licité? Son témoignage n'aurait-il pas plus de poids et d'action sur l'esprit des peuples 1? »

On remarquera la distinction faite ici par Dællinger entre les laïques et les ministres; c'est plus qu'une distinction, c'est une opposition. Il écrivait cela en 1872, après sa malheureuse défection; il parle encore en un autre endroit d'une double réaction contre la « théologie ossifiée» du protestantisme, après les traités de Westphalie, l'une parmi les laïques, l'autre parmi les théologiens. « La réaction laïque, dit-il, se manifesta d'abord par des conversions de plus en plus nombreuses au catholicisme, car bien des gens préféraient à l'autorité d'un prince l'autorité du Pape et des Conciles. D'autre part, toute la littérature religieuse d'origine laïque, depuis le dix-huitième siècle jusque bien avant dans le dix-neuvième, exprime un profond mécontentement du système et de l'enseignement de l'Église protestante. » Mais avant son adhésion aux schisme vieux-catholique, Dollinger avait traité le même sujet dans son remarquable ouvrage : l'Église et les Églises, paru dix ans auparavant. Il examine d'une part « les prédicateurs et leur rapport avec le peuple, de l'autre « l'état religieux des laïques >> dans l'Église protestante en Allemagne. On comprend, à la lecture de ces observations si frappantes et si justes, que l'opinion de l'auteur, malgré d'autres défaillances, n'ait pu varier sur ce point.

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L'Église protestante, dit-il, ne peut pas donner place à une grande diversité de ministères et de voca

1 La Réunion des Églises, par Ignace DOELLINGER, p. 144. (Paris, Sandoz, 1880.)

2 Ibid..
p. 82.

tions. Tous ceux qui entrent à son service doivent être prédicateurs. Chaque ministre de l'Église doit faire de la prédication son œuvre capitale; il est soumis à toutes les tentations, à tous les inconvénients qu'entraîne immanquablement une charge qui exige un perpétuel discours public. Qu'il ait des dons oratoires ou qu'il n'en ait pas, il faut qu'il prêche. Quand il s'entend à prêcher, vu la position actuelle de l'emploi, il ne peut pas faire fructifier ce don pour le bien de la paroisse. Et combien est petit, en somme, le nombre des prédicateurs réellement bons! On a calculé que c'est à peine la dixième partie des ecclésiastiques qui est apte à la prédication. De là est venu le règne de la rhétorique conventionnelle, des formules stéréotypées, des phrases creuses, des fantastiques systèmes de théologie, s'évanouissant comme une vapeur légère dès qu'on veut les saisir et les fixer. Ce règne de la phrase a atteint dans l'homélitique allemande moderne un degré presque sans exemple. «N'en avez-vous pas encore assez, s'écrie le professeur Hoger, de cet effroyable langage de la théologie du jour, qui, semblable au démon de la confusion, s'empare du pauvre étudiant, l'accompagne dans l'exercice de sa charge et rend ses prédications sinon entièrement inintelligibles, du moins incapables de charmer l'esprit et de le fortifier... »

« On en est venu au point que, selon l'aveu fait à Berlin par le prédicateur Kuntze, devant l'assemblée de l'Alliance, le peuple devenu étranger à l'Église considère les prédicateurs, l'Église et le christianisme comme une institution civile et de police, et qu'il témoigne à l'Église, de la manière la plus explicite, sa moquerie et son mépris. << Chez nous, a-t-on dit, l'Église n'a plus aucun pouvoir sur la conscience et sur l'esprit du

peuple. On a travaillé si longtemps à la déspiritualiser qu'elle a perdu à peu près son âme et son corps. Le pasteur ne représente plus personne dans l'opinion des laïques, si ce n'est soi-même. » Dans la plupart des paroisses, dit Moll, on redoute et l'on évite toute société avec le pasteur; il ne jouit d'aucune confiance... Le jugement de deux ecclésiastiques saxons n'est pas moins sévère « L'Église ne connaît absolument pas les besoins de ses membres et l'état de leur âme. Elle n'a pour eux ni œil, ni main, ni cœur. C'est un institut pour le dimanche. Pendant la semaine, rien ne la fait remarquer, et elle ne sert de rien. »

:

Et pourtant ce sont ces théologiens, ces prédicateurs qui représentent officiellement l'Église. Ce sont eux qui répondent pour le peuple, dont ils n'ont pas la confiance. Ce sont eux qui ont toujours fait échouer tous les projets de réunion; dans tous ces projets, en effet, les ministres inscrivaient des stipulations pour le maintien de leur situation personnelle, pour l'abolition du célibat, et c'était la première entrave des négociations. Aussi Dællinger a-t-il raison d'ajouter :

« Autant qu'on peut en juger par ce qui s'écrit, le désir de voir se réaliser la réunion de tous les Allemands, séparés en diverses églises, n'existe pas chez quelquesuns des théologiens et des pasteurs des différentes sectes protestantes. D'autres expriment ce désir en demandant que les catholiques se fassent simplement protestants. Chez quelques-uns ce désir n'est qu'une pure velléi'é, sans aucune vue claire des voies et moyens. Quant aux laïques, il semble qu'il en est autrement. Du moins, j'ai rarement rencontré un

L'Église et les Églises, p. 334 et suiv.

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