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Ce sont de vieux voisins, des proches, des enfans,
Qui visitent des lieux chers à leurs premiers ans:
C'est un père adoré qui vient, dans sa vieillesse,
Reconnoître les bois qu'a plantés sa jeunesse ;
La ferme à son aspect semble se réjouir,
Les bosquets s'égayer, les fleurs s'épanouir.
Tantôt c'est votre ami, votre ami de l'enfance,
Qui de vos simples goûts partage l'innocence.
Chacun retrouve là ses passe-temps chéris
Son meuble accoutumé, ses livres favoris. 5
Tantôt Robert arrive, et ses riches images
Doublent, en les peignant, vos plus beaux paysages;
Et tantôt son pinceau, dans de plus doux portraits,
De ceux que vous aimez vous reproduit les traits.
Ainsi, plein des. objets que votre cœur adore,
De vos amis absens vous jouissez encore.

Ces lieux, chers aux vivans, sont aussi chers aux morts.

Qui vous empêchera de placer sur ces bords,

Près d'un ruisseau plaintif, sous un saule qui pleure,

D'un ami regretté la dernière demeure?

Est-il un lieu plus propre à ce doux monument,
Où des mânes chéris dorment plus mollement ?
Du bon Helvétien qui ne connoît l'usage?

Près d'une eau murmurante, au fond d'un vert bocage,

Il place les tombeaux; il les couvre de fleurs:
Par leur douce culture il charme ses douleurs,
Et pense respirer, quand sa main les arrose,
L'ame de son ami dans l'odeur d'une rose. 6

Ne
pouvez-vous encore y consacrer les traits
De ceux par qui fleurit l'art fécond de Cerès ?
Pouvez-vous à Berghem refuser un asile,
Un marbre à Théocrite, un bosquet à Virgile?
Hélas! je n'ai point droit d'avoir place auprès d'eux;
Mais si de l'art des vers quelque ami généreux
Daigne un jour m'accorder de modestes hommages,
Ah! qu'il ne place pas le chantre des bocages
Dans le fracas des cours ou le bruit des cités.
Vallons que j'ai chéris, coteaux que j'ai chantés,
Souffrez que parmi vous ce monument repose;
Qu'un peuplier le couvre et qu'un ruisseau l'arrose!
Mes vœux sont exaucés: du sein de leur repos
Un essaim glorieux de belles, de héros,
Qui, successeurs polis des Sarmates sauvages,
De l'antique Vistule honorent les rivages,
Auprès de Saint-Lambert, de Pope, de Thompson,
Offre dans ses jardins une place à mon nom.
Que dis-je ? tant d'honneur n'est pas fait pour ma muse;
La gloire de ces noms du mien seroit confuse.

Mais, si dans un bosquet obscur et retiré
Il est un coin désert, un réduit ignoré,
Au-dessous de Gessner, et bien loin de Virgile,
Hôtes de ces beaux lieux, gardez-moi cet asile.
Content, je vous verrai, dans vos rians vallons,
De l'art que je chantai pratiquer les leçons,
Enrichir vos hameaux, parer leur solitude
Des partis turbulens calmer l'inquiétude..
Heureux si quelquefois, sous vos ombrages verts,
L'écho redit mon nom, mon hommage et mes vers! 7
Mais, ne l'oublions pas, à la ville, au village,
Le bonheur le plus doux est celui qu'on partage.
Heureux ou malheureux, l'homme a besoin d'autrui;
Il ne vit qu'à moitié, s'il ne vit que pour lui.

Vous donc à qui des champs la joie est étrangère,
Ah! faites- y le bien, et les champs vont vous plaire.
Le bonheur dans les champs a besoin de bonté.
Tout se perd dans le bruit d'une vaste cité;
Mais au sein des hameaux le château, la chaumière,
Et l'oisive opulence et l'active misère,

Nous offrent de plus près leur contraste affligeant,
Et contre l'homme heureux soulèvent l'indigent.
Alors vient la bonté qui désarme l'envie,

Rend ses droits au malheur,. l'équilibre à la vie,.

Corrige les saisons, laisse à l'infortuné

Quelques épis du champ par ses mains sillonné,
Comble enfin par ses dons cet utile intervalle

Que met entre les rangs la fortune inégale.

Eh! dans quels lieux le ciel, mieux qu'au séjour des chan Nous instruit-il d'exemple aux généreux penchans? De bienfaits mutuels voyez vivre le monde. Ce champ nourrit le bœuf, et le bœuf le féconde; L'arbre suce la terre, et ses rameaux flétris A leur sol maternel vont mêler leurs débris; Les monts rendent leurs eaux à la terre arrosée; L'onde rafraîchit l'air, l'air s'épanche en rosée : Tout donne et tout reçoit, tout jouit et tout sert. Les cœurs durs troublent seuls ce sublime concert. L'un, si du dé fatal la chance fut perfide, Parcourt tout son domaine en exacteur avide; Sans sécher une larme épuisant son trésor, L'autre, comme d'un poids, se défait de son or. Quoi, ton or t'importune? ô richesse impudente! Pourquoi donc près de toi cette veuve indigente, Ces enfans dans leur fleur desséchés par la faim, Et ces filles sans dot, et ces vieillards sans pain? Oh! d'un simple hameau si le ciel m'eût fait maître, Je saurois en jouir: heureux, digne de l'être,

Je voudrois m'entourer de fleurs, de riches plants
De beaux fruits, et surtout de visages rians;
Et je ne voudrois pas, qu'attristant ma fortune,
La faim vînt m'étaler sa pâleur importune.
Mais je hais l'homme oisif: la bêche, les rateaux,
Le soc, tout l'arsenal des rustiques travaux,
Attendroient l'indigent, sûr d'un juste salaire,.
Et chez moi le travail banniroit la misère.

C'est peu : des maux cruels troublent souvent ses jours;
Aux douleurs, au vieil âge assurez des secours.
Dans les appartemens du logis le moins vaste
Qu'il en soit un où l'art, avec ordre et sans faste,
Arrange le dépôt des remèdes divers

A ses infirmités incessamment offerts.

L'oisif, de qui l'ennui vient vous rendre visite,
Loûra plus volontiers, de sa voix parasite,
Vos glaces, vos tapis, votre salon doré ;
Mais pour tous les bons cœurs ce lieu sera sacré.
Souvent à vos bienfaits joignez votre présence;
Votre aspect consolant doublerà leur puissance.
Menez
-y vos enfans; qu'ils viennent sans témoin
Offrir leur don timide au timide besoin;
Que surtout votre fille, amenant sur vos traces
La touchante pudeur, la première des grâces,

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