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942

p967p

LE PROTESTANTISME

VU DE GENÈVE, EN 1886.

CHAPITRE PREMIER

Les derniers centenaires protestants.

Leur avantage, s'ils avaient

ranimé la foi. Les doctrines du seizième siècle abandonnées.

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Pas un calviniste réellement calviniste à Genève. Entraves de l'éducation. Armée du Salut.

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Foi protestante et foi

catholique. Nécessité sociale de la religion.

Goethe.

La peur des questions sérieuses.

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Le protestantisme a fait du bruit ces dernières années. L'Allemagne a célébré en 1883 le centenaire de la naissance de Luther. L'année suivante, la Suisse fêtait celui de Zwingli. Le 23 août 1885, Genève célébrait le trois cent cinquantième anniversaire de la proclamation officielle du calvinisme dans ses murs. Enfin les protestants de France eux-mêmes ont apporté leur note au concert en prenant pour motif de fête la date deux fois séculaire de la révocation de l'édit de Nantes, 18 octobre 1685. Un auteur a dit : « Le protestantisme a toujours excellé à se faire craindre ou à se faire plaindre. » Le rapprochement de ces souvenirs en est une preuve avec Luther et Zwingli, c'est le centenaire de la victoire des armes et de la crainte; avec Louis XIV, c'est le centenaire de la défaite et de la plainte.

Il faudrait applaudir à ces manifestations, si elles avaient eu pour résultat de ranimer l'esprit de foi dans les pays protestants. Même lorsqu'il est égaré, le sentiment religieux est meilleur que l'irréligion. La différence est grande entre une société qui craint Dieu, mais se trompe sur les moyens de l'adorer, et une société qui dédaigne toute croyance surnaturelle. Dans l'une, il reste l'étincelle que l'Évangile défend d'étouffer, et «< la mèche qui fume encore » peut redevenir aisément le brillant flambeau; dans l'autre, tout est froid, tout est mort, et comment y faire renaître la vie? Il est plus difficile de rendre la foi à une âme qui l'a totalement perdue, que de relever Lazare de son tombeau. Pour ressusciter la foi, il ne suffit pas de la puissance divine, il faut la coopération, le consentement de la volonté humaine, et cette volonté devient d'autant plus rebelle qu'elle s'est plus enveloppée d'incrédulité, tandis que pour ressusciter un mort, le bras de Dieu ne rencontre aucun obstacle.

Plus il y aura de croyances dans le protestantisme, plus il lui restera de points de contact avec cette grande Église qui n'a jamais connu de défaillances, qui est le christianisme intégral, avec l'Église catholique, apostolique et romaine. Ces points de contact, s'ils ne suffisent pas seuls à marquer la vraie voie du salut, en rapprochent du moins, et laissent espérer que l'on pourra se tendre une main fraternelle par-dessus les divergences pour reconstituer cette unité religieuse qui fut l'objet de la prière si ardente de Jésus-Christ : « J'ai d'autres brebis qui ne sont point de ce bercail, il faut que je les amène, et elles entendront ma voix, et il n'y aura qu'un bercail et qu'un pasteur.» (SAINT JEAN, ch. x, v. 16.)

:

La première génération de protestants conservait un fond commun de croyances avec les catholiques. Le schisme ne portait que sur quelques points, essentiels il est vrai, mais peu nombreux. Et loin de vouloir agrandir la rupture, les protestants cherchaient à la restreindre, à revenir en arrière. Ils ne pouvaient s'habituer à la pensée de former une Église à part; pendant un siècle, ils ont lutte contre cette idée de séparation absolue les colloques, les diètes, les confessions de foi, les écrits de cette époque en sont un émouvant témoignage. Ils reprochaient à l'Église catholique de les condamner, de les rejeter de son sein. L'origine de leur Église rappelle bien moins l'enfant prodigue désertant volontairement la famille, que l'histoire d'Agar repoussée de la maison d'Abraham par l'ordre de Dieu. Il fallut en arriver à cette douloureuse extrémité; car la maison de Dieu, pas plus que celle d'Abraham, ne pouvait abriter la contradiction en permanence. L'Église n'y a pas mis de la précipitation; elle a épuisé ses moyens de conciliation, et ce n'est que cinquante ans après les premières révoltes. de Luther, qu'elle prononça ses sentences définitives, par la promulgation du concile de Trente.

Depuis lors, que sont devenues les croyances protestantes? C'est une voix officielle de l'Église de Genève qui va nous répondre; M. le ministre Chantre écrivait dans l'Alliance libérale, journal religieux de Genève, le 5 novembre 1882 :

« Nos Églises s'apprêtent à célébrer demain la fète de la Réformation, et le retour de cette solennité nous suggère quelques réflexions.

« La première, c'est que, par un mouvement irrésistible, les doctrines qui furent proclamées au seizième

siècle par nos ancêtres spirituels, comme la vérité, la vérité absolue, la vérité divine, s'en vont rapidement aujourd'hui. Il suffit de les nommer: la Trinitė, l'Expiation, la Prédestination, etc., pour prouver qu'elles ne sont plus populaires, ni auprès des ecclésiastiques, ni auprès des laïques protestants.

« On nous racontait récemment l'étonnement naif d'un pasteur calviniste, venu du fond de l'Allemagne à Genève, dans le but de s'épanouir en la société de ses pareils, et qui s'en est allé tout triste de n'avoir plus trouvé, même à Genève, un seul calviniste réellement calviniste.

« Si ce pasteur avait bien cherché, peut-être auraitil enfin rencontré son calviniste introuvable. Il a eu tort de se décourager trop vite, mais ce tort s'explique pour qui sait que, soit les libéraux, soit les chefs de l'évangélisme, lui ont déclaré qu'ils n'acceptaient plus, ni les uns ni les autres, les doctrines jadis formulées et enseignées par Calvin.

« Le fait est général. Partout, avec plus ou moins de franchise, plus ou moins de clarté, les grandes doctrines de la Réformation sont abandonnées au sein des

Églises protestantes. Déjà, au siècle dernier, un grand mouvement s'était produit contre elles, mais elles avaient toujours conservé leur prestige et des adhérents en nombre respectable. Aujourd'hui, après le réveil qui semblait devoir leur donner une nouvelle vie, elles perdent rapidement, et le terrain regagné, et le terrain conservé. Tandis qu'une minorité du monde protestant, soit en Angleterre, soit en Allemagne, soit ailleurs, se rapproche à bien des égards des principes catholiques, la grande majorité des réformés (évangéliques et libéraux) modifient, transforment, abandon

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