Imágenes de páginas
PDF
EPUB

sionnel.

CHAPITRE III

Deux obstacles aux conversions : l'organisation nationale des Églises protestantes et leur tradition autoritaire. Patriotisme confesEmpire évangélique de Berlin. Liberté religieuse refusée aux chefs d'État. Bible abandonnée et non comprise. — Défaut du prêche. — Ignorance du peuple. — Protestantisme sauvegardé par cette ignorance. Inutilité des controverses avec les ministres. Conférences de Divonne entre l'abbé Mermillod et les ministres de Genève. Refus des protestants de paraître au concile de Trente.

[ocr errors]

Le spectacle des défaillances doctrinales du protestantisme laisse des impressions bien sombres. Quoi de plus triste que de voir des générations humaines s'éloigner toujours plus de l'Evangile et s'endurcir dans leur égarement, comme les peuples de l'Afrique et de l'Orient, autrefois si chrétiens, aujourd'hui pliés sous le fatalisme musulman! Je voudrais rencontrer de meilleures espérances, mais le problème du retour des nations protestantes à la foi de Jésus-Christ me parait si ardu qu'il faudrait des prodiges de la miséricorde divine pour le résoudre. Deux obstacles principaux se dressent sur le chemin des consciences : le premier, c'est l'organisation nationale des Églises protestantes; le second, c'est la tradition autoritaire qui domine ces Églises. Il y a là comme un double rempart à franchir, l'un politique, l'autre religieux; quelques chrétiens de forte volonté et d'esprit réfléchi peuvent briser cette barrière, les masses populaires

ne le pourraient pas sans une secousse profonde qui est, bélas! bien difficile à produire dans nos temps de matérialisme et d'indifférence religieuse.

Le schisme du seizième siècle ne dut ses succès malheureux qu'à la force du bras séculier. Né d'une période de trouble et de luttes sanglantes, il a conservé ce caractère de conquête et de victoire qui flatte l'amour-propre d'un peuple. Il a coïncidé d'ailleurs avec la formation des États modernes, et il a cherché à se donner pour le créateur de cette évolution sociale, due à d'autres causes. Les nationalités issues des traités de Westphalie, comme celles qui furent mêlées à la guerre de Trente ans, semblaient avoir reçu le baptême du protestantisme, et le principe nouveau de la suprématie religieuse du chef de l'État : Cujus regio, hujus religio, liait tellement l'idée de religion à l'idée de patrie, que l'abjuration de la religion officielle était considérée et souvent punie comme crime politique. Les lois, les institutions, l'éducation publique façonnaient les esprits à cette croyance que l'on était redevable au protestantisme de tous les bienfaits, de l'existence même de la patrie. Joignez à cela l'antagonisme national contre les pays avec lesquels il avait fallu soutenir des guerres plus ou moins aggravées par la diversité de religion, et vous aurez l'explication de ce patriotisme confessionnel qui, tout récemment encore, faisait donner le nom d'Empire évangélique à l'empire fondé par M. de Bismarck.

Pour les catholiques aussi, les traditions nationales sont une force. Un cœur français vibrera toujours au souvenir du baptême de Clovis et des vertus de saint Louis. Les fils des croisés ont la fierté de ne pas reculer devant les fils de Voltaire. Il y a des gloires que les peuples

catholiques doivent à leur religion même, et ce sont les plus durables. La France ne saurait trouver un titre plus noble que celui de « Fille aînée de l'Église » ; avant de placer sa couronne royale sur la tête de Henri IV, elle voulut y voir la couronne du baptême catholique. Mais entre ces sentiments et l'esprit national protestant il existe une différence essentielle. Le citoyen catholique voit sa patrie agrandie et comme doublée, quand il contemple la gloire qu'elle tient dans l'immense concert des peuples chrétiens; il appartient à son pays, et son pays appartient à une patrie supérieure qui doit embrasser l'univers entier, qui plane au-dessus des égoïsmes de frontières et élève tous les hommes à la sublime fraternité apportée au monde par le Rédempteur. De même qu'un canton suisse, outre sa souveraineté propre, participe à la souveraineté supérieure de la Confédération, de même les États catholiques, outre leur nationalité politique, participent à la grande confédération des peuples qui est l'Église de Jésus-Christ: et cette confédération spirituelle les élève, les unit, les associe tous également à la gloire de la civilisation fondée par elle, comme la Confédération helvétique associe indistinctement tous les cantons, même les derniers venus, à ses conquêtes antiques et à sa protection maternelle. C'est donc, je le répète, une double patrie que le catholicisme ouvre à ses enfants; la fidélité à l'une est un gage de fidélité à l'autre loin de se combattre, elles se soutiennent mutuellement. Le catholique se rattache aux illustrations de son pays comme à celles de l'Église universelle; à travers le cours des siècles, il se retrouve en communauté de foi avec tous les saints, tous les docteurs, les martyrs, les apôtres, avec Jésus-Christ enfin. C'est le cortège de

tout ce que l'humanité a eu de parfait, de brillant, d'héroïque; le citoyen ne peut pas ambitionner de trophée plus glorieux, pour le drapeau de sa nation, que d'y inscrire le titre de catholique. Lorsque l'empereur Constantin distribua le Labarum à ses légions, il donnait au patriotisme une flamme nouvelle, puisée au ciel même : IN HOC SIGNO VINCES.

Il n'en est pas de même du protestantisme. Loin d'agrandir la patrie, il la rétrécit. C'est une religion territoriale, qui concentre tout au siége du pouvoir politique et ne crée pas des horizons plus étendus que celui de la frontière nationale. Le protestantisme français, disséminé dans un peuple catholique, est peut être celui qui a eu le moins de vie propre; il chercha toujours force et secours à l'extérieur, et c'est pour lui surtout que Genève pensa devenir autrefois la Rome protestante'. Les relations qui ont pu exister

1 M. Eugène Ritter, professeur à l'Université de Genève, écrivait à ce sujet les lignes suivantes, dans l'Alliance libérale, organe des protestants libéraux, numéro du 6 juin 1885 :

« Notre ville, quand elle s'est séparée de la France, dans les derniers jours de 1813, a renoncé à demeurer la capitale d'une grande opinion ». Voyez le Consistoire de Paris et celui de Genève, et comparez l'influence qu'ils possèdent hors de leurs circonscriptions respectives. Le premier en a beaucoup et en aura toujours davantage; le second n'en a point et ne saurait en espérer. C'est une affaire finie pour nous. Notre Consistoire a supplanté la Vénérable Compagnie des pasteurs dans l'administration de nos affaires ecclésiastiques intérieures; il n'a pas su lui succéder dans cette espèce de primatie des Gaules» qu'elle a longtemps exercée.

« Le groupe de millionnaires et la pléiade d'hommes de talent qui conduisent à Paris les affaires du protestantisme français, ne viennent pas chercher le mot d'ordre dans notre ville, comme on l'a fait dans les siècles derniers, et encore à l'époque du premier Empire.

"

Adolphe Monod et Alexandre Vinet, les deux plus grands

entre les Églises de divers pays ne sont pas des relations d'unité ou de hiérarchie, ni de fraternité vraie; là même où la Réforme fut établie par un pouvoir étranger, comme dans le canton de Vaud, il ne subsiste aucune déférence et souvent aucune reconnaissance pour cette filiation: au contraire, les Vaudois ont gardé jusqu'à nos jours une aversion persistante pour les Bernois du seizième siècle et leurs héritiers. Les anciennes confessions de foi Confession d'Augsbourg, Confession helvétique, etc., n'ont pu fonder des groupements durables; et les congrès ou réunions pastorales de nos jours, les Alliances Évangélique ou Libérale ressemblent plutôt à ces expositions internationales, destinées à provoquer la concurrence et non l'unité des peuples. La seule chose qui fasse corps pour l'Église protestante, c'est son organisation nationale : elle n'a pas d'assises hors de la loi qui l'institue, la régit et la nourrit ; elle suit les péripéties de la loi; la vie politique pénètre et absorbe la vie religieuse, en sorte que l'on se croit lié au protestantisme aussi nécessairement qu'on l'est à l'État, et le patriotisme tient lieu de religion. Pour

noms du protestantisme de langue française dans la première moitié de notre siècle, n'étaient pas de notre ville. M. Bersier, M. de Pressensé occupent dans le protestantisme contemporain une place plus en vue que celle d'aucun Génevois. La Revue de théologie dite de Strasbourg, la Bible de M. Reuss, l'Encyclopédie des sciences théologiques de M. Lichtenberger, ne sont pas des publications génevoises.

a

[ocr errors]

Que le lecteur instruit se reporte par la pensée, je ne dis pas au seizième siècle, puisqu'il est clair qu'on ne peut pas avoir un Jean Calvin à chaque génération, mais au dix-septième siècle, au dix-huitième : il reconnaîtra que Genève avait alors, au sein du protestantisme de langue française, une prépondérance qu'elle n'a plus aujourd'hui. Notre ville a cessé d'être la Rome protes

tante. »

« AnteriorContinuar »