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« qu'une espèce de liturgie, qui passe pour avoir une « efficace magique et qu'on ne se donne pas la peine << de comprendre. Ceux qui en pourraient saisir le « sens se tiennent à l'écart, parce qu'on ne leur donne « pas la clef du livre. Pour la grande majorité du public, qui a entendu parler des questions critiques, les Écritures sont sous le coup d'une suspi

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Ainsi la Bible n'est ni lue ni comprise. Les ministres du moins vont-ils y suppléer en ne parlant qu'un langage biblique à leurs ouailles? Écoutons la réponse de

M. Astié :

« Le mal est donc aussi grand qu'il puisse être; la « crise n'est pas aiguë, mais nous souffrons d'anémie. « De là la faiblesse extrême, la pauvreté de notre pré« dication. Faute d'oser donner du nouveau, nos prédi«< cateurs qui ont encore de l'ambition et du talent sont « réduits à faire simplement œuvre de rhéteurs en << renouvelant la forme, disent-ils, de certaines vieilles « vérités. Du côté droit, on se préoccupe trop exclusi«vement des ignorants, des fanatiques, ou bien des « hommes qui, naturellement religieux, se contentent « toujours de ce qu'on leur donne sans y regarder de « trop près. Il faut bien qu'on ménage ces fidèles-là, «< car on s'exposerait, en les faisant fuir des églises par une prédication plus actuelle, plus virile, à ne « pas les voir remplacés par d'autres. Du côté gauche, la prédication s'alimente trop exclusivement « des ressources précaires de la polémique couranie : << aussi, dès qu'on a vaincu l'adversaire, on n'a rien à « dire. Le vainqueur, enseveli dans son triomphe, se «morfond à attendre de rares auditeurs dans des églises vides. Ils ne se pressent en foule que les

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jours d'élection, quand il s'agit de choisir un pas« leur abondamment pourvu de toutes les qualités requises pour empêcher qu'elles ne se remplissent a les dimanches ordinaires '.">

Que devient le fidèle protestant, entre cette Bible << dont il n'a pas la clef » et les prédicateurs qui ne la lui ouvrent point? Il devrait, semble-t-il, se défier de ces prédicateurs et chercher ailleurs des moyens de s'éclairer. Eh bien! c'est le contraire qui arrive. Chaque ministre réussit à former son groupe d'amis qui ne jurent que par lui. Les anciennes confessions de foi n'existent plus : ce qui les a remplacées, ce sont les noms des ministres. Toute la foi protestante moderne des ouailles consiste à être pour M. le ministre A..., pour M. le ministre B..., pour M. le ministre X......., Y... Chaque samedi les consistoires font publier la liste des prédicateurs du lendemain; cette liste est toute la Bible du peuple : chacun y cherche son ministre préféré, et s'il n'en voit pas le nom, il n'ira pas au temple; si M. le ministre A... est enrhumé ou s'il prend ses vacances, sa troupe s'abstiendra du culte jusqu'à son retour, car il n'y a pas de religion sans lui. Il arrive ainsi qu'un temple sera plein quand le tour du prêche est à M. X..., et vide quand c'est le tour de quelqu'un dont la clientèle personnelle n'est pas fondée. N'est-ce pas là une religion d'autorité, et une autorité de la pire espèce? On parle avec une certaine pitié de ces antiques écoles de philosophie où les disciples n'avaient pour dernier criterium de vérité que la parole du maître : Magister dixit. Les protestants modernes n'ont guère un meilleur sort; voici

1 Revue de théologie et de philosophie, 1883, p. 30.

comment M. Dællinger le dépeint, d'après le témoignage des chefs de l'Église allemande :

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« Le premier prélat de l'Église saxonne, Liebner, a peint récemment des plus sombres couleurs l'absence complète de connaissance chrétienne que l'on remarque actuellement dans l'Église évangélique allemande, soit au sein des masses sans éducation, soit chez les personnes d'un esprit cultivé... Les laïques peuvent répondre aux théologiens Vous nous reprochez la nuit de notre ignorance théologique, mais donnez-nous donc le fil d'Ariane qui pourra nous conduire hors du labyrinthe du doute et de l'incrédulité. Donnez-nous seulement une réponse claire à cette question la plus pressante de toutes : Qui devons-nous croire? Le prédicateur isolé qui nous parle du haut de la chaire autour de laquelle le hasard nous a rassemblés? Le Consistoire du pays? La faculté de théologie de l'Université? Le souverain politique, évêque suprême? Les livres théologiques, dont chaque théologien a secoué le joug? Notre jugement privé sur les divers passages de la Bible? Nous prenons en main vos plus récents commentaires sur la Bible, comme pouvant nous aider et nous mettre sur la voie. Qu'y trouvons-nous? Dix explications différentes d'un seul et même passage, soutenues chacune par le nom d'un célèbre théologien... Nous demandions du pain, et vous ne nous avez donné que des pierres ! Vous avez toujours à la bouche la liberté spirituelle, et vous nous imposez un joug d'airain, vous exigez de nous, laïques, l'asservissement de l'esprit. Nous devons accepter et croire les doctrines d'un prédicateur qui n'est lié lui-même par aucune autorité supérieure, qui n'est soutenu par aucune vaste société doctrinale. Un d'entre vous

cependant s'exprime ainsi : Une assemblée ne peut pas être plus tyrannisée que lorsqu'un seul individu est autorisé par son ministère à la soumettre à l'arbitraire illimité de ses opinions particulières. (KARSTEN, l'Église protestante, p. 29.)

« Quand Liebner affirme cependant que sa théologie et celle de ses collègues portent en elles tous les moyens de salut dont le temps présent a besoin, mais seulement comme doctrine secrète, il est évident qu'on ne peut se former aucune opinion sur ce mystère. Toutefois, d'autres ont porté sur la théologie du jour des jugements très-différents. Le professeur Krafft, de Bonn, et le prédicateur de la Cour, Beyschlag, devant l'assemblée de l'Alliance évangélique, à Berlin, ont accusé la théologie orthodoxe moderne d'être une des principales causes de l'impuissance religieuse du protestantisme allemand.

« Les Sociétés bibliques, depuis cinquante ans, ont distribué en Allemagne, comme partout, des millions de bibles. Le protestant le plus pauvre peut maintenant se procurer sans beaucoup d'efforts une bible allemande. Quel résultat a-t-on obtenu? C'est que maintenant, à ce qu'assurent les prédicateurs eux-mêmes, aucun livre n'est moins lu que la Bible. « Sur cent familles chrétiennes, à peine s'en trouve-t-il une où la Sainte Écriture soit encore lue 1. » (THOLUK, Liter. An. 1845, p. 289.)

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Donc, plus de Bible, point de théologie accessible au peuple; une seule chose représente encore le protestantisme c'est le ministre, du haut de sa chaire ou au milieu de ses catéchumènes. La foi des ouailles est toute faite de l'ascendant personnel que ce ministre,

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1 DOELLINGER, l'Église et les Églises, p. 342-315.

tantôt orthodoxe, tantôt libéral, saura prendre sur elles. L'autorité de ce ministre ne s'appuie sur aucune base fixe, sur aucune société doctrinale : elle ne relève que d'elle-même et peut se permettre tous les écarts, surtout dans les Églises démocratisées.

Je ne veux envisager cette situation qu'au point de vue des retours au catholicisme. Il est évident que c'est là un des plus grands obstacles, car les fidèles ne réfléchissent pas, ne s'instruisent pas eux-mêmes, et il est bien certain que ce ne sont pas leurs ministres qui leur diront de douter, d'examiner, de faire la comparaison entre les diverses Églises et de choisir le catholicisme, s'il paraissait être la meilleure religion. Le peuple a perdu son énergie et sa fermeté morale. « Qu'arriverait-il, dit encore M. Dollinger, si la connaissance du réel état des choses pénétrait de plus en plus dans la classe du peuple proprement dit et même, d'abord, dans le cercle des laïques instruits? Voici une vérité qui sonne comme un paradoxe, mais qui frappe vivement tous ceux qui jettent sur les faits un regard profond L'indifférence universelle des esprits cultivés, en ce moment, pour tout ce qui regarde l'Église, est la protection la plus forte et la plus sûre de l'Église protestante. Si jamais ces esprits portent un vif intérêt aux choses religieuses, s'ils prennent en main la Bible pour l'examiner eux-mêmes, s'ils posent des questions touchant le contenu et l'autorité des confessions de foi, alors viendra pour eux le moment de la désillusion 1. » Bien avant Dollinger, le cardinal Pacca avait déjà consigné des observations analogues dans ses Mémoires sur la nonciature d'Allemagne.

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