Imágenes de páginas
PDF
EPUB

tions. Tous ceux qui entrent à son service doivent être prédicateurs. Chaque ministre de l'Église doit faire de la prédication son œuvre capitale; il est soumis à toutes les tentations, à tous les inconvénients qu'entraîne immanquablement une charge qui exige un perpétuel discours public. Qu'il ait des dons oratoires ou qu'il n'en ait pas, il faut qu'il prêche. Quand il s'entend à prêcher, vu la position actuelle de l'emploi, il ne peut pas faire fructifier ce don pour le bien de la paroisse. Et combien est petit, en somme, le nombre des prédicateurs réellement bons! On a calculé que c'est à peine la dixième partie des ecclésiastiques qui est apte à la prédication. De là est venu le règne de la rhétorique conventionnelle, des formules stéréotypées, des phrases creuses, des fantastiques systèmes de théologie, s'évanouissant comme une vapeur légère dès qu'on veut les saisir et les fixer. Ce règne de la phrase a atteint dans l'homélitique allemande moderne un degré presque sans exemple. «N'en avez-vous pas encore assez, s'écrie le professeur Hoger, de cet effroyable langage de la théologie du jour, qui, semblable au démon de la confusion, s'empare du pauvre étudiant, l'accompagne dans l'exercice de sa charge et rend ses prédications sinon entièrement inintelligibles, du moins incapables de charmer l'esprit et de le fortifier........ »

« On en est venu au point que, selon l'aveu fait à Berlin par le prédicateur Kuntze, devant l'assemblée de l'Alliance, le peuple devenu étranger à l'Église considère les prédicateurs, l'Église et le christianisme comme une institution civile et de police, et qu'il témoigne à l'Église, de la manière la plus explicite, sa moquerie et son mépris. « Chez nous, a-t-on dit, l'Église n'a plus. aucun pouvoir sur la conscience et sur l'esprit du

peuple. On a travaillé si longtemps à la déspiritualiser qu'elle a perdu à peu près son âme et son corps. Le pasteur ne représente plus personne dans l'opinion des laïques, si ce n'est soi-même. » Dans la plupart des paroisses, dit Moll, on redoute et l'on évite toute société avec le pasteur; il ne jouit d'aucune confiance... Le jugement de deux ecclésiastiques saxons n'est pas moins sévère : « L'Église ne connaît absolument pas

les besoins de ses membres et l'état de leur âme. Elle n'a pour eux ni œil, ni main, ni cœur. C'est un institut pour le dimanche. Pendant la semaine, rien ne la fait. remarquer, et elle ne sert de rien '. »

Et pourtant ce sont ces théologiens, ces prédicateurs qui représentent officiellement l'Église. Ce sont eux qui répondent pour le peuple, dont ils n'ont pas la confiance. Ce sont eux qui ont toujours fait échouer tous les projets de réunion; dans tous ces projets, en effet, les ministres inscrivaient des stipulations pour le maintien de leur situation personnelle, pour l'abolition du célibat, et c'était la première entrave des négociations. Aussi Dællinger a-t-il raison d'ajouter :

« Autant qu'on peut en juger par ce qui s'écrit, le désir de voir se réaliser la réunion de tous les Allemands, séparés en diverses églises, n'existe pas chez quelquesuns des théologiens et des pasteurs des différentes sectes protestantes. D'autres expriment ce désir en demandant que les catholiques se fassent simplement protestants. Chez quelques-uns ce désir n'est qu'une pure velléité, sans aucune vue claire des voies et moyens. Quant aux laïques, il semble qu'il en est autrement. Du moins, j'ai rarement rencontré un

[blocks in formation]

laïque protestant, animé de sentiments religieux, qui n'ait pas désiré une réunion et n'ait point pensé que le moment était arrivé d'y travailler, parce que la séparation, en se prolongeant, faisait plus de mal que de bien '. >>

Les ministres, ne voulant pas l'union avec le catholicisme, parce qu'ils croient y trouver trop d'inconvénients pour leur compte personnel, ont cherché des compromis de toutes sortes. Quelques-uns se sont abandonnés à des théories creuses sur l'attente d'une

« Église de l'avenir » et d'une nouvelle Pentecôte. Fichte et Schelling, ayant imaginé de faire remonter aux apôtres le schisme du seizième siècle, répandirent l'idée d'une troisième Église qui viendrait fondre ensemble l'Église catholique, appelée par eux Pétréiste, et l'Église protestante, appelée Pauliniste: la future Église mettrait de côté Pierre et Paul et se fonderait sur saint Jean, avec le nom de Joanniste. Cette espérance fut prise très au sérieux. A la diète ecclésiastique de Stuttgard, en 1857, le professeur Piper consolait l'assemblée en lui faisant entrevoir l'Église humanitaire de Jean, l'apôtre de la dilection, qui commencerait la quatrième période de l'Église.

En Angleterre, l'attente d'une nouvelle ère qui s'ouvrirait par une seconde Pentecôte, une seconde effusion du Saint-Esprit, est pareillement très-répandue. On croit à un prochain millénaire, qui serait la Société parfaite finale, la nouvelle Jérusalem descendue du Ciel, et l'on cherche à étayer ces songes sur des interprétations de l'Apocalypse. Tout cela est de la haute fantaisie et ne mérite mention que comme indice du

1 L'Église et les Églises, p. 359.

tourment des esprits, qui ne peuvent se résigner à l'état présent de morcellement et de scission et veulent espérer, même contre toute espérance, le triomphe de l'unité nécessaire.

Un ancien ministre de Genève, M. Claparède, mort il y a peu d'années, avait passé le meilleur de sa vie à méditer et à propager des plans d'union des Églises. Il avait fait imprimer en 1835, l'année même du troisième centenaire de la Réforme à Genève, un écrit (Urbi et Orbi), où il exposait ses vues, croyant que « le moment était arrivé où les disciples fidèles du Sauveur allaient se tendre la main afin de réaliser le vœu de leur maître Qu'ils soient un afin que le monde croie ». En dernier lieu (27 mars 1864), il adressait la collection de ses écrits à Mgr de Bonnechose, archevêque de Rouen, et il le suppliait d'appuyer son Plan pour la fondation d'une alliance catholiqueévangélique. «De toutes parts, écrivait-il dans cette lettre inédite, des philosophes, des incrédules, dans le sein de toutes les communions chrétiennes, les Salvador, les Renan, les Strauss, etc., etc., s'efforcent de saper le christianisme par sa base. Ces attaques sont d'autant plus redoutables, qu'elles sont savantes, qu'elles partent d'hommes sérieux et généralement honorables, en sorte qu'il semble que tout est prêt pour le triomphe du dernier Antechrist, favorisé par la division du petit nombre de chrétiens qui n'ont pas encore abjuré la foi à la révélation divine. Ne serait-il pas temps, Monseigneur, que des hommes comme vous, dans les Églises grecque et romaine, s'unissant aux Naville, aux de Pressensé du protestantisme, entreprissent de constituer une sainte alliance, prenant pour base les doctrines vitales de la Chute, de la Rédemption, de la Divinité

éternelle du Fils de Dieu, un avec le Père et le SaintEsprit, de la nécessité d'une sanctification véritable régénérant le cœur par le Saint-Esprit...

« Plus que quelques mots, Monseigneur; cet appel, que je prends la liberté de vous adresser, sera-t-il aussi infructueux que les tentatives indirectes que j'ai faites, à diverses reprises, auprès de quelques nobles et pieuses intelligences, en leur communiquant mes écrits dans l'espoir que, d'elles-mêmes, elles prendraient à cœur l'œuvre indispensable d'un rapprochement entre les membres dispersés du corps de Jésus-Christ? Daignerez-vous prêter quelque attention à la voix d'un vieillard qui a toujours cherché consciencieusement la vérité, sans se faire d'aucun parti que de celui de la vérité, et qui a cru devoir la dire avec ménagement aux uns et aux autres, lors même qu'elle pouvait froisser leurs préjugés '? »

Je ne sais ce que le vénérable archevêque de Rouen répondit. M. Claparède avait aussi adressé son plan d'alliance à MM. les curés et vicaires du canton de Genève, ainsi qu'aux membres du consistoire, par lettre du 13 août 1861. Il ajoute dans une note à ce sujet «N. B. : Le jour même de l'envoi de ma lettre et du plan qui l'accompagnait, je fis une visite à M. l'abbé Mermillod, à qui je donnai ma lettre à lire. Il la trouva très-bonne. Quant au plan, que nous n'examinâmes point ensemble, il me dit que, puisque je l'avais remis à la cure, il verrait M. le curẻ. Trois mois après, M. le pasteur B..... me prit la main, à la sortie d'une assemblée religieuse, en me disant qu'il était chargé de me remercier de la part du comité

1 Lettre du ministre Claparède à Mgr de Bonnechose.

« AnteriorContinuar »