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Échanges éternels de la terre et de l'onde,
Qui semblent lentement se disputer le monde !
Ainsi l'ancre s'attache où paissoient les troupeaux,
Ainsi roulent des chars où voguoient des vaisseaux,
Et le monde vieilli par la mer qui voyage

Dans l'abyme des temps s'en va cacher son âge.
Après les vastes mers et leurs mouvans tableaux,
Vous aimerez à voir les fleuves, les ruisseaux;
Non point ceux qu'ont chantés tous ces rimeurs si fades
De qui les vers usés ont vieilli leurs Nayades,
Mais ceux de qui les eaux présentent à vos yeux
Des effets nobles, grands, rares ou curieux.
Tantôt dans son berceau vous recherchez leur source;
Tantôt dans ses replis vous observez leur course,
Comme, d'un bord à l'autre errans en longs détours,
D'angles creux ou saillans chacun marque son cours.
Dirai-je ces ruisseaux, ces sources, ces fontaines,
Qui de nos corps souffrans adoucissent les peines?
Là, de votre canton doux et tristes tableaux,
La joie et la douleur, les plaisirs et les maux,
Vous font chaque printemps leur visite annuelle:
Là, mêlant leur gaîté, leur plainte mutuelle,
Viennent de tous côtés, exacts au rendez-vous,
Des vieillards éclopés, un jeune essaim de foux.

Dans le même salon là viennent se confondre

La belle vaporeuse et le triste hypocondre:
Lise y vient de son teint rafraîchir les couleurs ;
Le guerrier, de sa plaie adoucir les douleurs ;
Le gourmand, de sa table expier les délices.
Au dieu de la santé tous font leurs sacrifices.
Tous, lassant de leurs maux valets, amis, voisins,
Veulent être guéris, mais sur tout être plaints.
Le matin voit errer l'essaim mélancolique ;
Le soir, le jeu, le bal, les festins, la musique,
Mêlent à mille maux mille plaisirs divers :
On croit voir l'élysée au milieu des enfers.

Mais laissant là la foule et ses bruyantes scènes,
Reprenons notre course autour de vos domaines,
Et du palais magique où se rendent les eaux
Ensemble remontons aux lieux de leurs berceaux,
Vers ces monts, de vos champs dominateurs antiques.
Quels sublimes aspects, quels tableaux romantiques!
Sur ces vastes rochers, confusément épars

Je crois voir le génie appeler tous les arts.

Le peintre y vient chercher, sous des teintes sans nombre, Les jets de la lumière et les masses de l'ombre:

Le poëte y conçoit de plus sublimes chants:

Le sage y voit des mœurs les spectacles touchans.

Des siècles autour d'eux ont passé comme une heure,

Et l'aigle et l'homme libre en aiment la demeure;
Et vous, vous y venez, d'un œil observateur,
Admirer dans ses plans l'éternel créateur.

Là le temps a tracé les annales du monde.

Ceux

que

Vous distinguez ces monts, lents ouvrages de l'onde;
des feux soudains ont lancés dans les airs,
Et les monts primitifs nés avec l'univers;
Leurs lits si variés, leur couche verticale,
Leurs terrains inclinés, leur forme horizontale :
Du hasard et du temps travail mystérieux !
Tantôt vous parcourez d'un regard curieux
De leurs rochers pendans l'informe amphithéâtre,
L'ouvrage des volcans, le basalte noirâtre,
Le granit par les eaux lentement façonné,
Et les feuilles du schiste et le marbre veiné.
Vous fouillez dans leur sein, vous percez leur structure;
Vous y voyez empreints Dieu, l'homme et la nature :
La nature, tantôt riante en tous ses traits,

De verdure et de fleurs égayant ses attraits;
Tantôt mâle, âpre et forte, et dédaignant les grâces,
Fière, et du vieux chaos gardant encor les traces.
Ici, modeste encore au sortir du berceau,
Glisse en minces filets un timide ruisseau;

Là s'élance en grondant la cascade écumante ;
Là le zéphyr caresse, ou l'aquilon tourmente.
Vous y voyez unis des volcans, des vergers,
Et l'écho du tonnerre, et l'écho des bergers;
Ici de frais vallons, une terre féconde;

Là des rocs décharnés, vieux ossemens du monde
A leur pied le printemps, sur leurs fronts les hivers.
Salut, pompeux Jura! 14 terrible Montanverts! 15
De neiges, de glaçons, entassemens énormes ;
Du temple des frimats colonnades informes!
Prismes éblouissans, dont les pans azurés,
Défiant le soleil dont ils sont colorés,

Peignent de pourpre et d'or leur éclatante masse,
Tandis que, triomphant sur son trône de glace,
L'hiver s'enorgueillit de voir l'astre du jour
Embellir son palais et décorer sa cour!

Non, jamais, au milieu de ces grands phénomènes,
De ces tableaux touchans, de ces terribles scènes,
L'imagination ne laissé dans ces lieux

Ou languir la pensée ou reposer les yeux..

Malheureux cependant les mortels téméraires
Qui viennent visiter ces horreurs solitaires,
Si par un bruit prudent de tous ces noirs frimats
Leurs tubes enflammés n'interrogent l'amas!

Souvent un grand effet naît d'une foible cause.
Souvent sur ces hauteurs l'oiseau qui se repose
Détache un grain de neige. A ce léger fardeau
Des grains dont il s'accroît se joint le poids nouveau ;
La neige autour de lui rapidement s'amasse ;
De moment en moment il augmente sa masse :
L'air en tremble, et soudain, s'écroulant à la fois,
Des hivers entassés l'épouvantable poids
Bondit de roc en roc, roule de cime en cime,
Et de sa chute immense ébranle au loin l'abyme.
Les hameaux sont détruits, et les bois emportés ;
On cherche en vain la place où furent les cités,
Et sous le vent lointain de ces Alpes qui tombent,
Avant d'être frappés, les voyageurs succombent.
Ainsi quand des excès suivis d'excès nouveaux
D'un état par degré ont préparé les maux,

De malheur en malheur sa chute se consomme :

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Tyr n'est plus, Thèbes meurt, et les yeux cherchent Rome!
O France, ô ma patrie ! ô séjour de douleurs ! 17

Mes yeux à ces pensers se sont mouillés de pleurs.
Vos pas sont-ils lassés de ces sites sauvages?i
Eh bien ! redescendez dans ces frais paysages.

Là le long des vallons, au bord des clairs ruisseaux,

De fertiles vergers, d'aimables arbrisseaux,

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