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son génie qu'est sorti le prodige de son style, tantôt simple et sublime, comme celui d'Homère, tantôt plus satirique que celui d'Horace, plus riche et plus varié que celui d'Ovide, plus mâle et plus fier que celui de Lucain.

Mais le temps nous presse; nous reviendrons sur cet ouvrage, chef-d'oeuvre et symbole du moyen âge, où le profane et le sacré, l'antiquité, les mœurs modernes, tant de choses, bouillonnent confondues. Pour en parler moins longuement, nous avons besoin de l'étudier encore.

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Sous quelques rapports,

elle offre le caractère des grands poèmes anciens. Elle renferme toute l'histoire, toute la science, toute la poésie du temps. Situation de l'Italie. Dessein patriotique du poète. - Caractère de sa théologie. Sublimité et variété de sa poésie. Résumé sur le gé

nie et l'influence du Dante.

MESSIEURS,

Je n'essaierai pas de morceler, par des analyses successives, les trois grands actes de la Divine Comédie. Le premier caractère de cette œuvre étonnante, c'est l'unité : non que l'intérêt soit égal dans toutes les parties du poème ; mais une même pensée originale les anime; et c'est d'une seule vue qu'il faut les embrasser,

12. T I. LITT. DU MOY, AGE. 1830.

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en ne séparant pas le théologique et l'abstrait, du poétique et du sublime.

Malgré la prodigieuse différence des temps, le poème du Dante reproduit le caractère des grands poèmes primitifs de l'antiquité; il est encyclopédique; il enferme dans son vaste sein l'histoire, la science, la poésie tout entière d'un siècle.

Je m'attache d'abord à l'histoire.

La grande question, la grande lutte du moyen âge, le sacerdoce et l'Empire, le pape et l'empereur, sont là mieux exprimés que dans aucun autre monument. Dans ce combat, la passion avait attaché le Dante à une cause; mais son génie les conçoit toutes deux. Guelfe d'origine, Gibelin par vengeance, il s'élève par son génie au dessus des Guelfes et des Gibelins, et embrasse toute la société chrétienne.

Depuis que l'empire romain était tombé, et que la barbarie avait séjourné sur ce monde, autrefois civilisé, depuis qu'une horrible confusion avait couvert l'Italie, que les monumens du génie antique étaient détruits ou dégradés, que les lois, les arts avaient péri, que les races avaient changé, et que, suivant l'expression amèrement dédaigneuse de Machiavel, les

hommes avaient quitté les noms de César et de Pompée, pour ceux de Pierre, de Jean et de Matthieu, aux yeux du petit nombre qui étudiait encore, les peuples semblaient profondément déchus. Nulle part cette impression n'était plus vive qu'en Italie. La magnificence des ruines, les traces partout subsistantes de la grandeur romaine, y faisaient ressortir le malheur des nouveaux temps. Les guerres implacables entre les villes, les tyrannies, les proscriptions faisaient de cette belle contrée la terre la plus opprimée et la plus anarchique de l'Europe. A cette vue, il est à croire que le génie du Dante, aidé dans ses systèmes par ses passions, comme il arrive toujours, voulant à la fois l'humiliation de ses persécuteurs et la paix de son pays, cherchait dans le joug impérial cette puissante unité que l'Italie a perdue depuis tant de siècles, et que Machiavel lui souhaitait, même au prix et par la main d'un Borgia. Selon toute apparence, trois siècles plus tôt le Dante eut la même idée. En voyant l'Italie sanglante et déchirée, il leva les yeux vers Rome et le pape; mais alors les papes, par leur simonie et par leurs vices, soutenaient mal les desseins du plus grand de leurs prédécesseurs. Il regarda plus loin,

et il souhaita pour l'Italie même un César d'Allemagne, qui rendît à cette terre désolée la puissance des lois et la paix. Comment expliquer autrement que cet homme inflexible et si fier, qui n'avait pu supporter la liberté d'une république, ait invoqué un maître étranger? C'est que la fiction de l'empire romain, l'ombre de l'ancienne Italie, lui apparaissait encore. Il veut un empereur qui soumette ces villes inutilement républicaines, puisqu'elles sont injustes.

Cette pensée du Dante, elle sera partout dans son poème ; c'est pour elle en partie qu'il a été composé; il ne la perd pas de vue dans ses plus fantasques imaginations. Lorsque, voyageant, avec Virgile, dans ce pays inconnu de l'enfer, il emploie les inventions les plus bizarres pour passer d'un cercle à l'autre, et une invention plus bizarre encore pour sortir de l'abîme ; lorsqu'il fait de Lucifer lui-même et de sa taille immense une échelle sur laquelle il gravit et remonte vers la lumière; regardez bien cette merveilleuse apparition: Lucifer a trois têtes, trois gueules dévorantes, occupées chacune à mâcher incessamment un damné; dans l'une est Judas Iscariote, qui représente le parjure, le révolté contre Dieu; dans les deux autres, Brutus et Cassius;

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