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garde sa grande mosquée. Les Maures se font chevaliers comme les Espagnols; et ceux-ci deviennent savans et mathématiciens, comme les Maures. Ce curieux spectacle de deux peuples, tour à tour conquérans et conquis, se communiquant toutes leurs idées et ne se mêlant pas, se ressemblant de génie et invinciblement séparés par la religion, voilà ce que nous étudierons dans les récits espagnols, depuis le vieux poème du Cid jusqu'aux chroniques de la guerre de Grenade. Par une réserve fort naturelle, nous disserterons peu sur la littérature arabe, dans ses rapports avec l'Europe au moyen âge. Si nous avions quelque chose du vaste savoir de M. Fauriel, qui possède l'arabe comme le grec moderne et toutes les littératures du Midi, nous entrerions avec joie dans ces mines d'Orient, où se cachent tant de trésors d'imagination et de poésie. Mais, ignorans que nous sommes, nous tâcherons seulement de chercher le reflet du génie arabe dans le génie espagnol, d'où il passa dans le reste de l'Europe.

Beaucoup d'esprits reçurent au moyen âge l'influence de la littérature et des inventions arabes, sans connaître la source originale. Le génie oriental leur apparaissait, à travers l'Espagne et le christianisme. Notre ignorance, qui

est la même, nous fera mieux comprendre leur impression qui était semblable à la nôtre.

Lorsque nous aurons cherché dans une foule de souvenirs populaires et dans un petit nombre de monumens épars quel était l'esprit général de la nation espagnole, ne serons-nous pas tentés de regarder ailleurs et de nous dire Pourquoi donc est-elle devancée, cette nation si forte et si vive? Comment cette race, formée du sang arabe et européen, ardente, ingénieuse, guerrière, comment n'at-elle pas encore du génie dans les arts? Pourquoi les Italiens se sont-ils élevés plus tôt? Je le crois, cette nécessité pour un peuple d'être un peuple, avant d'avoir du talent, d'avoir fait de grandes actions, avant de faire des livres, n'était pas satisfaite. Ainsi l'Italie, en s'affranchissant sous les auspices de ses grands papes du moyen âge, en transformant ses villes en républiques agitées, mais libres, avait de bonne heure accompli son œuvre, et s'était ouvert la carrière des arts et du génie. L'Espagne ne l'avait pas fait encore; mais si elle a tardé, combien son œuvre sera grande! A quel haut degré va-t-elle porter la puissance de l'esprit humain ! que de grandes actions elle accumule à la fin du xve siècle ! En quelques années, vous

voyez se réunir les deux couronnes d'Aragon et de Castille, Grenade assiégée, une autre ville bâtie sous ses remparts, et pressant la chute du dernier des rois maures. Les Espagnols vainqueurs, n'étant pas encore gâtés par le fanatisme barbare de l'Inquisition, garderont d'abord les vaincus pour sujets, pour commerçans, pour laboureurs. Alors l'Espagne sera puissante, industrieuse, fière d'elle-même et de sa gloire, elle aura le temps d'entreprendre de grandes choses, et d'avoir du génie. Et quelle grande chose elle entreprendra! une chose si grande que tout l'avenir du monde y est compris. Je ne sais par quelle cause, soit par une tradition de la Chine, venue jusqu'à la foire de Leipsick, soit par l'invention fortuite d'un Allemand, l'imprimerie vient de se découvrir. L'Espagne, avec son Génois, entreprend quelque chose de plus grand; il part, et l'Amérique est trouvée ! Le xve siècle se ferme presque par cet événement le plus mémorable qui ait paru dans l'histoire du monde, depuis celui qui a changé la foi des nations. Et l'homme qui a fait cet immortel ouvrage, c'est lui qui, le premier, montre à l'Espagne la hauteur du génie littéraire, si ce mot convient à un homme aussi puissant en œuvres que Christophe Colomb. Ce

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génie épars jusque là dans quelques chants populaires, vous le retrouverez porté jusqu'au sublime par l'enthousiasme du grand homme, qui a des pensées aussi hautes que l'action qu'il a faite. Lorsque nous voudrons savoir ce qu'était l'éloquence espagnole à la fin du xve siècle, nous le demanderons à cet étranger, nous arracherons quelques pages aux conférences de Christophe Colomb, discutant contre les moines qui voulaient lui refuser l'Amérique; nous l'entendrons, dans ses lettres, se justifiant contre les rois, auxquels il a donné un monde, dont ils ne lui savent pas gré. Alors nous verrons comment le génie d'éloquence qui vient après l'action est aussi grand qu'elle, et non moins digne de laisser, dans la mémoire des hommes, un souvenir qui ne s'efface jamais. (Applaudissemens.)

DEUXIÈME LEÇON.

Réponse à une accusation. Recherches philologiques. -Premières causes de corruption pour la langue latine. Innovations grammaticales d'Auguste. Tendance progressive des idiomes. Réfutation de l'opinion que la langue italienne soit un ancien patois du latin. Causes diverses de l'extension et de l'altération de l'idiôme latin.—Influence de la conquête et de la religion. Influence des barbares. Exemples nombreux des variations subies par les mots. Naissance d'un idiôme moderne. Sa forme multiple ; doutes soumis à M. Raynouard. - Premiers monumens de la langue Romane.

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MESSIEURS,

Je ne veux pas mêler de polémique à ces entretiens littéraires; je ne répondrai pas en détail à des accusations, que cependant je ne puis tout-à-fait ignorer. A l'occasion de la première séance de ce cours, on m'a reproché, dans un

2. T. I. LITT. DU MOY. AGE. 1830.

4,

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