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sagesse, qu'elle soit son organe et son assaisonnement. Il est absurde de sacrifier la nourriture à l'assaisonnement c'est la sagesse qui conduit au bonheur, non l'élégance du discours '. »

Il nous semble impossible de mieux caractériser le vide laissé dans les âmes par la Renaissance et le système d'études qu'elle a introduit. AVANT ELLE, L'ÉDUCATION ÉTAIT TOUTE SCIENTIFIQUE; DEPUIS, ELLE EST DEVENUE TOUTE LITTÉRAIRE : au moyen age L'ÉducaTION ÉTAIT UN COURS CONTINUEL DE PHILOSOPHIE; DEPUIS LA RENAISSANCE, ELLE EST UN COURS CONTINUEL DE RHÉTORIQUE. Alors elle apprenait à penser avant d'apprendre à écrire; depuis, elle apprend à écrire avant d'apprendre à penser. Alors elle formait des hommes de leur temps et de leur pays, en formant des chrétiens; depuis elle n'a formé trop souvent que des songe-creux et des utopistes, en formant des païens. Alors elle formait des hommes d'action et de dévouement; depuis elle n'a formé, suivant le mot d'Érasme lui-même, que des bavards en vers et en prose.

Mais écoutons encore le noble écrivain : nous l'aurions payé, qu'il n'aurait pas mieux dit : « L'étude de l'éloquence est souvent un obstacle à l'étude de la philosophie et de la religion. L'homme est trop faible pour mener de front plusieurs scien1 Id., p. 138.

ces à la fois ce qu'il donne à l'une, il le prend à l'autre. En faisant de l'art de bien dire l'objet principal des études, vous êtes obligés de passer le temps à étudier les beautés de la langue, les propriétés des mots, les observations sur la manière de s'exprimer, les couleurs de Cicéron et les préceptes de Quintilien. Ainsi, de ce qu'il y a de plus important, c'est-à-dire des choses, vous tombez aux mots, du sérieux au léger, du vrai au brillant. Au lieu des philosophes, vous êtes forcés de lire les historiens; les poëtes païens, au lieu des théologiens; les auteurs de fables, au lieu des écrivains qui traitent des sciences les plus graves'.

>>> C'est pourquoi, A MOINS QU'ON NE SE LIVRE A CETTE ÉTUDE AVEC PRUDENCE ET SOBRIÉTÉ, LE BÉNÉFICE NE COMPENSERA JAMAIS LA PERTE. Telle est la vérité que le plus sage des hommes, Salomon, confirme par ces paroles: La chasse aux mots ne produit rien; la connaissance de soi-même produit l'amour de son âme. Le chasseur aux mots se fera remarquer par la volubilité du discours; mais de la connaissance des choses, peu ou point de nouvelles, bien que ces professeurs de loquacité s'arrogent le droit de parler de

1 Itaque a rebus maximis ad verba, a seriis ad ludicra, a veris ad apparentia transibit; historicos pro philosophis, ethnicos poetas pro theologis, fabularum scriptores pro gravissimis disciplinarum aucthoribus legere cogetur. Id. ibi.

tout... Jusqu'où ne vont pas les prétentions de ces rhéteurs et de ces grammatistes qui, pour savoir traduire trois ou quatre mots grecs et agencer quelques formules sonores, se croient capables d'enseigner ce qu'ils n'ont jamais appris; font sur toute sorte de matière des livres décorés de titres pompeux, qu'ils publient presque avant de les avoir écrits, et qu'ils écrivent avant de les avoir conçus? OEuvres vaines dans lesquelles vous ne trouvez ni suc ni solidité, mais seulement des niaiseries et des mots vides de sens. Si fortement pressées qu'elles soient, que peut-il sortir d'outres pleines de vent sinon du vent 1? >>

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L'illustre auteur termine en revenant à son point de départ. De nouveau il démontre à Érasme le mal que la Renaissance a fait à la religion, en jetant le mépris sur le christianisme philosophique, artistique, théologique, et en donnant d'innombrables adhérents au Protestantisme. « Infatués de leurs études païennes, dit-il, tous ces adorateurs de l'antiquité connaissent à peine quelques mots des sciences sérieuses; et ces mots, ils les ont appris comme les pies et les perroquets, à force de les

1 Quamobrem nisi caute et sobrie hujusmodi studiis opera navetur, profecto jactura lucro non pensabitur..... Quid enim effundere possunt, quantumlibet vehementer exprimantur inflati utres, nisi ventum et inane? Id., p. 139.

avoir entendu répéter; et plus ils les répètent, et moins ils les comprennent. Et cependant ils se moquent de tous ceux qui n'ont pas leur éloquence, qu'ils soient les philosophes les plus exacts ou les théologiens les plus sages; ils les jugent indignes de toucher aux sciences sacrées, attendu qu'ils ne sont ni trilangues ni bilangues'. >>

Dans ses rapports avec le Protestantisme, toute la Renaissance est dans ces derniers mots : Parlezvous le latin de Cicéron? comprenez-vous le grec? vous êtes un grand homme, l'oracle de la vérité. Ignorez-vous ces langues? fussiez-vous saint Bernard ou saint Thomas, vous êtes un ignare, un cuistre, un Robin qui ne savez ce que vous dites et qui ne méritez aucune confiance 2.

L'historien allemand de Luther, Ulenberg, tient exactement le même langage que le prince de Carpi, et prouve avec évidence que Luther n'a pas été autre chose qu'un Renaissant 3.

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1 Attamen ipsi, omnes minus eloquentes rident, contemnunt, etsi philosophi exactissimi theologique sapientissimi, indignosque putant sacras litteras adtrectare eo quod trilingues aut saltem bilingues non sint. Id. ibi. Pour compléter la démonstration de sa thèse, le comte met à néant l'assertion d'Érasme qui attribuait le Protestantisme aux scandales du clergé et à l'orgueil des théologiens. 2 Modo Robinos, modo crassos, barbaros appellitant, ibid. Beda in Erasm., præf., p. 1.

3 Historia de vita, moribus, rebus gestis, studiis, etc., Lutheri, 1622. Édition in-12, p. 13 et 44.

CHAPITRE XVI.

TÉMOIGNAGES.

La Sorbonne et l'université de Cologne.

Rodolphe de Lange lève en Allemagne l'étendard de la Renaissance. - Condamné par les théoloInfluence de son école. Sa mort. Budée Opposition à la Renaissance.

giens de Cologne.

en France.

Témoignage de Bayle.

bourg.
De Zwingli.

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Passage de Maim

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De M. Cousin. De Buhle. De M. Chauffour.

Le Protestantisme est venu du libre penser, et le libre penser est venu de la Renaissance. En preuve de ce fait capital dans l'histoire généalogique du mal actuel, consignons ici quelques nouveaux témoignages, plus significatifs encore, s'il est possible, que ceux que nous venons de rapporter.

Parmi les grandes écoles de théologie du quinzième siècle se distinguaient la société de Sorbonne et l'université de Cologne. Leurs docteurs étaient regardés comme les oracles de la science; et c'était à juste titre. Fidèles dépositaires de l'esprit si fortement catholique du moyen âge, habitués à l'étude des choses divines, connaissant à fond la lutte éter

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