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résistant à la Renaissance, le clergé d'Allemagne ne comprenait pas mal son siècle, et qu'il n'avait pas tort d'avoir peur des lumières nouvelles. Sur ce point capital un historien protestant a vu plus juste que l'écrivain catholique. Parlant de la Renaissance littéraire et philosophique antérieure à la réforme, Brucker s'exprime ainsi : « LA RENAISSANCE DES LETTRES CONTRIBUA PUISSAMMENT A LA RENAISSANCE DE LA PHILOSOPHIE. L'Italie fut la première à se dégoûter de l'ancienne philosophie, de cette philosophie attachée par le LIEN DE L'AUTORITÉ, auctoritatis capistro. Mais notre Allemagne ne s'endormit pas dans ses anciennes ténèbres; et comme l'Italie, malgré les vives lumières qui l'éclairaient, elle ne consentit pas à rester l'esclave de la grande superstition. A peine eut-elle aperçu l'aurore de la Renaissance des lettres, et reçu dans les écoles d'Italie leurs précieuses semences, que ses enfants, de retour dans leur patrie, réunirent leurs efforts pour proscrire la barbarie, inaugurer une philosophie et un enseignement plus en harmonie avec le bon sens, exciter les savants, se moquer de l'ignorance, montrer LA CORRUPTION QUI DÉFIGURAIT LA RÉPUBLIQUE CHRÉTIENNE et la république des lettres,

1 Demonstravimus elegantioris litteraturæ studium ad restituendum pristinum philosophiæ decus plurimum contulisse. Hist. phil., period. III, pars. 4, lib. III, c. 1, p. 79; in-4o.

et indiquer courageusement le remède héroïque qu'exigeait ce mal pestilentiel'. »

De ces précieux témoignages il résulte que les jeunes Allemands revenant d'étudier en Italie s'extasient sur les choses qu'on enseigne et sur la manière dont on les enseigne à Florence, à Padoue, à Boulogne. « L'Europe, disent-ils, est tombée dans les ténèbres, les lettres sont perdues, la philosophie est devenue barbare, l'Église ellemême est corrompue; nous sommes des bêtes qu'on mène avec le licou de l'autorité; tous ces maux demandent un remède énergique qui se trouve dans la restauration de l'antiquité artistique, philosophique et littéraire. Imitons l'Italie; là on parle comme Cicéron, on philosophe comme Platon. Au langage et aux méthodes barbares usités parmi nous ont succédé un langage d'une élégance exquise et des méthodes qui, n'emprisonnant plus l'esprit dans de honteuses entraves, permettent à la pensée de prendre un libre essor et de se livrer à de nobles et utiles investigations. Là, au lieu de posséder, comme nous, quelques traités seulement des grands philosophes de l'antiquité, on possède

1 Viros doctos excitare; ignorantiam salse ridere, et quæ rempublicam christianam et litterariam corruptio occupaverit ac quam fortem medicinam pestilens malum requirat, ostendere magno animo aggressi sunt.-Hist. phil., pars 4, lib. III, c. I., p.70.

leurs œuvres tout entières; au lieu de les étudier comme nous dans des traductions, on les lit dans leur langue originale. Au lieu de jurer sur la parole d'Aristote et des formules que lui ont empruntées nos docteurs, on examine, on s'instruit, et on ne jure sur la parole d'aucun maître. >>

Au fond de tout cela, comme on voit, respire l'amour passionné de la forme païenne et du libre penser. Ce langage, inspiré par lá Renaissance, résume fidèlement les nombreux pamphlets des humanistes antérieurs à la Réforme, tels que Ulric de Hutten, Reuchlin, et surtout Érasme, ce Voltaire du quinzième siècle, dont la verve intarissable égaya pendant trente ans l'Europe littéraire aux dépens du passé.

<< Telle était en Allemagne, dit Brucker, la célébrité d'Érasme, que tous les amis de la belle littérature se rangèrent sous ses étendards pour faire la guerre à la barbarie du moyen âge, et pour conquérir le droit du libre penser 1. »

Les hommes les plus graves, même parmi le clergé, se laissent ébranler par les plaisanteries du lettré de Rotterdam, par les sophismes de Reuchlin, et font écho à leurs odieuses et déplorables calom

1 Qui tanto duce animum contra ignorantiæ patronos strenue excutere triste jugum et in libertatem philosophicam se vindicare sategerunt. ·Hist. phil., pars 4, lib. III, c. 1, p. 87.

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nies. Entre une foule de documents, l'histoire nous a conservé la lettre curieuse qu'écrivait à Reuchlin, en 1483, Bernard Adelman, chanoine d'Augsbourg.

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« O crime! s'écrie-t-il, nous méprisons, que dis-je? nous abhorrons comme du poison, quelquefois même nous sommes empêchés d'étudier ce qui faisait les délices et la volupté des anciens! Non, non; à moins d'être immergés dans les lettres latines et grecques, nos jeunes gens ne feront jamais rien. >> Je n'ignore pas que beaucoup d'hommes, non amis de la sagesse, mais de l'orgueil, non pas professeurs de saintes lettres, mais de ténèbres, non pas jurisconsultes, mais écornifleurs de droit, exécrent le nom de poésie, et clabaudent partout que les poëtes sont pleins d'obscénités et de niaiseries. C'est pourquoi, Jean, mon bien-aimé, j'ai recours à toi comme au refuge le plus sûr des humanistes, afin que tu prennes sous ta protection tous ceux qui sont avides des belles-lettres, que tu veilles au salut de l'État et que tu persuades bien à notre souverain que jamais nul ne pourra parvenir à la vraie connaissance des choses, s'il ne commence par étudier les auteurs païens 1. »

1 Despicimus, immo tanquam venena abhorremus, ac aliquando, proh quantum nefas! iisce incumbere prohibemur quæ Latinis jucunda voluptuosaque fuerunt..... Principique nostro persuaderes neminem unquam ad veram cognitionem rerum pervenire posse, nisi in primis hisce rudimentis vacaverit. - Brucker, p. 84.

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Croire que le salut de l'État dépend de la connaissance de Virgile ou d'Horace! Regarder comme un crime la défense de lire les obscénités poétiques des dieux de l'Olympe! Prétendre qu'on ne peut arriver à la vérité que par le chemin du mensonge! Si on lui avait défendu de lire son bréviaire ou d'étudier l'Écriture, le bon chanoine aurait-il fait entendre des lamentations plus douloureuses? Tel est pourtant le fanatisme pour l'antiquité païenne auquel la Renaissance conduisait les hommes les plus graves; que devait-il en être des têtes plus légères, et surtout des jeunes gens? Cette lettre a encore cela de précieux, qu'elle montre la répulsion qu'inspirait l'étude des auteurs païens à la fin du quinzième siècle, les protestations qui s'élevaient contre ce système nouveau, et par conséquent inconnu ou à peu près du moyen âge.

Brucker a soin d'ajouter que cet enthousiasme pour la Renaissance n'était pas personnel au chanoine d'Augsbourg, mais qu'il avait gagné toute l'Allemagne, et surtout la jeunesse, grâce aux lettrés revenus d'Italie, avec la volonté de chasser la barbarie du sein de l'Église.

« Au moment, continue M. Audin, où ces nouveaux mages (les jeunes Allemands revenus d'Italie) venaient annoncer à leurs compatriotes l'étoile lumineuse qui les avait guidés en Italie, où ils étaient

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