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moyen de l'idée, & peut avoir pour objet les fenfations mêmes. C'est donc fe tromper que de les prendre pour des idées ; c'eft encore une plus grande erreur de confondre celles-ci avec l'imagination.

Les phantômes & les chimères que cette derniere enfante, la marche vive & impétueufe qu'elle fuit, les écarts où elle tombe, & les écueils où elle fe brife, font des caracteres. diftinctifs auxquels il eft aifé de la reconnoître.

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L'idée beaucoup plus fimple, plus conftante, plus réguliere, eft en même temps bien plus étendue. Que l'on préfente en effet à l'imagination trente-fix mille hommes entourant un efpace quarré, elle s'arrêtera tout court; l'idée fans s'effrayer de ce nombre, les divifera en quatre parties de neuf-mille hommes chacune, pour chaque côté du quarré. A cette différence on peut encore en ajouter d'autres ; l'imagination n'offre jamais que des êtres fenfibles & matériels, elle ne les offre pas

toujours de la même maniere à tous les hommes, parce qu'elle n'eft pas la même dans tous; l'idée qui ne varie point, & qui s'étend à tout, a découvert prefque dans tous les temps & dans tous les lieux les mêmes vérités, & a fait faire auffi à-peu-près les mêmes raifonnements. Enfin perfonne n'ignore que la plûFart des erreurs & des vices viennent du déréglement de l'imagination, & que l'on en trouve le remede dans l'attention à confulter & fuivre les idées.

Quoique l'idée ne foit pas une fenfation proprement dite, elle ne laiffe pas de se faire fentir. S'il y en a plufieurs dont on s'apperçoit avec peine, ou que l'on oublie dans l'inftant, cela vient de ce que leur impreffion n'a pas été affez vive pour fixer l'attention, ou que leur fentiment a été abforbé par plufieurs autres idées furvenues en même-temps, qui avoient plus de rapport avec nos befoins ou avec nos difpofitions habituelles. En lifant un livre de poéfie ou d'élo

quence, où les passions sont rendues avec force, il femble que l'on n'ait l'idée que des mouvements qui y font exprimés, il femble que l'on n'ait été nullement affecté des mots, des fyllabes, des lettres; ce font cependant celles-ci qui ont conduit l'efprit aux phrafes, des phrafes aux idées, & des idées aux objets; la connoiffance des derniers fuppofe néceffairement celle des autres.

ARTICLE II

Des qualités de l'Idée.

LEs Es qualités de l'idée sont la véririté, la clarté, la diftinction. Une idée vraie eft celle qui repréfente un objet tel qu'il eft; une idée claire eft celle dont on diftingue l'objet de tout autre objet ; une idée diftin&te eft celle que l'on diftingue aifément de toute autre idée. Ces trois chofes que l'on diftingue communément

Pune de l'autre, me paroiffent fe reduire à deux; je ne vois pas la différence qu'il y a entre diftinguer une idée d'une autre, & diftinguer l'objet d'une idée de l'objet de l'autre idée. Au moins eft-il vrai que fi les objets font aifés à diftinguer, les idées le font par-là même, & conféquemment fi la clarté & la diftinction, l'obscurité & la confufion des idées ne font pas la même chose elles font inféparables, fondées fur les mêmes principes, & foumifes aux mêmes loix.

Toutes les idées font elles vraies ? Toutes les idées font elles claires & distinctes? Les Philofophes ne feroient pas divifés fur ce point, s'ils convenoient de bonne foi de l'état de la queftion; tous font d'accord que la vérité de l'idée eft une vérité de représentation qui n'affirme & ne nie rien. Il s'agit donc de décider quel objet doit être représenté par l'idée; fi c'est l'objet extérieur, il s'en faut bien qu'il le foit toujours, puifque nous avons fans ceffe fous

les yeux un objet différent de celur que l'efprit apperçoit.

Mais fur quoi peut-on fonder la néceffité de repréfenter cet objet extérieur? Il n'eft que l'occafion de l'idée, & fi elle ne nous montre pas ce qu'il eft en lui-même, la connoiffance d'un autre qu'elle nous donne en fa place, est également propre à remplir le but de la nature qui est de nous éclairer. Si un Peintre n'a pas réuffi à repréfenter ce qu'il vouloit, c'eft une erreur de fa part; il n'y en a point de la mienne à voir dans l'image qu'il me préfente des traits de proportion & de régularité. Que le triangle dont j'ai l'idée exifte ou n'existe pas, peu m'importe ; je ferai toujours certain que dans quelque état qu'on le fuppofe, fes trois angles font égaux à deux angles droits. Il y a loin de moi une tour quarrée, je la vois comme ronde; dès-lors je ne doute plus que fon contour ne foit à-peu-près triple de fon diamétre, & qu'elle ne résiste plus qu'une autre, toutes chofes éga

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