Imágenes de páginas
PDF
EPUB

aucune satisfaction? pourquoi plutôt ne rejettes-tu pas avec la vie toutes tes peines? Car je ne puis désormais rien imaginer, rien inventer de nouveau pour te plaire : l'ordre des choses ne varie pas; que les années n'usent point ton corps, n'enlèvent point à tes membres leurs forces, leur activité, eh bien! tu verras toujours les mêmes choses, ton existence dût-elle, en se prolongeant, triompher de plusieurs siècles et même échapper pour toujours à la mort. »

Que répondrons-nous à cela, sinon que la nature nous fait le procès avec raison et qu'elle plaide la cause de la vérité? Mais, si c'est quelque misérable qui devant la mort pousse des lamentations excessives, n'aurait-elle pas encore bien plus le droit de le gourmander et de lui crier d'une voix sévère : « Débarrasse-nous de tes larmes, fol insatiable, étouffe tes plaintes. » Et si c'est un vieillard chargé d'années qui se plaint: « N'as-tu pas pu, dirat-elle, jouir de tous les avantages de la vie avant de vieillir; mais parce que tu désirais toujours ce qui était loin de toi, tu dédaignais ce qui se trouvait sous ta main, tu n'eus que d'une manière incomplète cette vie qui t'échappait sans charme, et inopinément la mort s'est dressée devant toi, avant que tu fusses rassasié, repu et prêt au départ. Maintenant renonce à tous ces biens qui ne sont plus de ton âge allons, de bonne grâce cède la place à qui grandit derrière toi. Il le faut. >>

Paroles pleines d'équité, selon moi; blâmes et reproches bien mérités! Devant ce qui est jeune ce qui a vieilli est obligé de partir, l'ordre est immuable, et les choses se renouvellent les unes par les autres fatalement; rien ne tombe au néant, ni dans le sombre Tartare; il faut que la même matière donne naissance aux générations à venir, qui, à leur tour, après avoir achevé leur vie, nous suivront. Comme ont passé celles qui nous ont précédés, elles passeront. En se reproduisant l'une par l'autre, sans cesse et à jamais elles se succéderont; car de la vie nul n'a la propriété, tous n'ont que l'usufruit.

XLVII

Explication du Tartare. Les récits des poètes sont mensongers c'est sur la terre et en nous-mêmes qu'est l'enfer:

Atque ea nimirum, quæcumque Acherunte profundo Prodita sunt esse, in vita sunt omnia nobis. Nec miser inpendens magnum timet aere saxum Tantalus, ut fama'st, cassa formidine torpens; Sed magis in vita divom metus urget inanis Mortales, casumque timent, quem cuique ferat fors. Nec Tityon volucres ineunt Acherunte jacentem : Nec, quod sub magno scrutentur pectore, quicquam Perpetuam ætatem possunt reperire profecto, Quamlibet immani projectu corporis exstet, Qui non sola novem dispessis jugera membris Optineat, sed qui terrai totius orbem : Non tamen æternum poterit perferre dolorem ; Nec præbere cibum proprio de corpore semper. Sed Tityos nobis hic est, in amore jacentem Quem volucres lacerant, atque exest anxius angor, Aut alia quavis scindunt cuppedine curæ.

Sisyphus in vita quoque nobis ante oculos est,
Qui petere a populo fasces, sævasque secures
Imbibit, et semper victus tristisque recedit.

Nam petere imperium, quod inane'st, nec datur umquam,
Atque in eo semper durum sufferre laborem ;
Hoc est adverso nixantem trudere monte

Saxum; quod tamen e summo jam vertice rursum
Volvitur, et plani raptim petit æquora campi.

Deinde animi ingratam naturam pascere semper,
Atque explere bonis rebus, satiareque numquam;
Quod faciunt nobis annorum tempora, circum
Cum redeunt, fetusque ferunt, variosque lepores;
Nec tamen explemur vitai fructibus umquam :
Hoc, ut opinor, id est, ævo florente puellas,
Quod memorant, laticem pertusum congerere in vas,
Quod tamen expleri nulla ratione potestur.

XLVII

(Tom. II, p. 480.)

Tous ces tourments qu'on dit exister au fond de l'Achéron nous les trouvons dans cette vie. Il n'y a pas, comme on le croit, un Tantale qui, sous la menace sans effet d'un immense rocher suspendu sur sa tête, tremble toujours et reste glacé d'effroi; mais plutôt il y a dans cette vie tous les hommes qu'oppresse une vaine peur des dieux et qui. redoutent ce que le hasard peut faire tomber sur eux.

Il n'y a pas non plus de Tytius étendu sur le bord de l'Achéron pour servir de pâture aux oiseaux. Ils auraient beau fouiller dans sa vaste poitrine, ils ne pourraient y trouver de quoi se nourrir toujours; quand son corps, en s'étendant prodigieusement, couvrirait de ses membres alanguis non seulement neuf arpents mais le globe entier de la terre, de même qu'il serait incapable de supporter cette douleur sans fin, il lui serait impossible de suffire par ce corps à cet aliment éternel. Mais Tityus est chez nous : c'est l'homme qui, en proie à l'amour, se sent dévorer aussi par des vautours, torturer par des angoisses, ou dont l'âme par quelque autre passion violente est déchirée de soucis.

Sisyphe aussi dans la vie se présente à nos yeux : c'est lui qui s'obstine à aller demander au peuple les faisceaux et les haches du commandement et qui s'en revient toujours vaincu et pénétré de tristesse. Car rechercher le pouvoir, qui est une chose vaine et que l'on n'obtient pas, et, dans cette recherche, supporter constamment un dur travail, c'est bien pousser avec effort vers le haut d'un mont une énorme pierre, qui, lorsqu'elle touche au faîte, retombe et roule à toute vitesse jusque dans la plaine.

De même, enfin, fournir sans relâche l'aliment que réclame une âme toujours mécontente, lui donner des biens en profusion et ne jamais la rassasier, comme font pour nous les saisons qui, ramenées par le cercle des années, nous apportent leurs productions et leurs agréments si

Cerberus et Furiæ jam vero et lucis egenus Tartarus, horriferos eructans faucibus æstus, Hæc neque sunt usquam, neque possunt esse profecto. Sed metus in vita pœnarum pro male factis Est insignibus insignis, scelerisque luella Carcer, et horribilis de saxo jactu' deorsum, Verbera, carnifices, robur, pix, lammina, tædæ. Quæ tamen, etsi absunt, at mens sibi conscia factis Præmetuens, adhibet stimulos, torretque flagellis : Nec videt interea, qui terminus esse malorum Possit, nec quæ sit pœnarum denique finis;

Atque cadem metuit magis hæc ne in morte gravescant; Hic Acherusia fit stultorum denique vita.

Lucret., De nat. rer., III, 991-1036.

XLVIII

Inquiétude de l'homme.

Si possent homines, proinde ac sentire videntur
Pondus inesse animo, quod se gravitate fatiget,
Et quibus id fiat causis quoque noscere, et unde
Tanta mali tamquam moles in pectore constet;
Haud ita vitam agerent, ut nunc plerumque videmus,
Quid sibi quisque velit nescire, et quærere semper,
Commutare locum, quasi onus deponere possit.
Exit sæpe foras magnis ex ædibus ille,

Esse domi quem pertæsum'st, subitoque revertit:
Quippe foris nilo melius qui sentiat esse.
Currit agens mannos ad villam hic præcipitanter,
Auxilium tectis quasi ferre ardentibus instans:
Oscitat extemplo, tetigit quum limina villæ:
Aut abit in somnum gravis, atque oblivia quærit;
Aut etiam properans urbem petit atque revisit.

Hoc se quisque modo fugit (at, quem scilicet, ut fit,

variés, sans que nous trouvions jamais suffisants tous ces fruits de la vie, c'est bien, me semble-t-il, ce que l'on raconte de ces jeunes filles qui ne cessent de verser de l'eau dans un vase sans fond, que rien ne saurait remplir.

Bref, Cerbère, les Furies, le sombre Tartare qui de ses gorges vomit un horrible bouillonnement de feu, tout cela n'existe nulle part, bien certainement ne peut exister. Mais, dans cette vie, il y a pour des méfaits insignes une insigne crainte du châtiment. Le crime est puni par la prison, l'horrible saut du haut de la roche, les verges, la torture, le cachot souterrain, la poix, les lames rougies au feu, les torches; même à défaut de toutes ces peines, il y a toujours la conscience qui terrorise le coupable, le tourmente de ses aiguillons, lui fait sentir la brûlure de son fouet. Et lui cependant ne voit point le terme de ses souffrances, la fin de ses supplices; une crainte plus grande encore l'envahit, c'est que la mort ne les aggrave. Voilà comment les insensés se font un enfer de la vie même.

XLVIII

(Tom. II, p. 481.)

Si les hommes savaient, de même qu'ils se montrent sensibles au poids qui charge leur esprit, reconnaitre la cause de cet accablement et l'origine de ce mal énorme dont la masse pour ainsi dire pèse sur eux, ils ne vivraient pas comme nous les voyons vivre pour la plupart, ne sachant ce qu'ils veulent, le cherchant toujours et passant constamment d'un lieu dans un autre comme si ce mouvement pouvait les débarrasser de leur fardeau.

Tel souvent s'enfuit d'une vaste demeure d'où le chasse l'ennui, et tout aussitôt y revient car il ne trouve rien de mieux au dehors. Il attelle ses chevaux et court à sa ferme au grand galop, comme si le feu y était et réclamait son secours à l'instant; mais il baîlle déjà, à peine en a-t-il touché le seuil; et alors, ou, tout ennuyé, il se livre au sommeil et y cherche l'oubli, ou même, avec la même hate, il s'en retourne vers la ville et y rentre.

« AnteriorContinuar »