amour excessif de la vie, de cette crainte du trépas on était puni bientôt par l'abandon même dans lequel tous les autres vous laissaient mourir honteusement, misérablement, sans aucun secours. Mais bravait-on le danger, on succombait à la contagion, à la fatigue qu'imposaient alors ces sentiments d'honneur et les douces supplications et les plaintes des souffrants; c'était là le genre de mort des meilleurs. A la suite des efforts innombrables qu'on avait à faire pour ensevelir le peuple de ses morts, on revenait brisé par les larmes et la douleur. Aussi beaucoup s'alitaient-ils malades de tristesse, et l'on ne pouvait plus, en ces temps cruels, trouver personne que n'eût atteint la maladie, ou la mort ou le deuil. Les pâtres de brebis et de tous autres troupeaux, les robustes villageois qui manient la charrue, souffraient aussi; au fond de leurs chaumières restaient étendus des corps que la pauvreté et la maladie livraient à la mort: vous y auriez vu tantôt sur des enfants sans vie les corps inanimés de leurs parents, tantôt sur les cadavres de leurs mères et de leurs pères des enfants rendant l'âme. Et de la campagne cette désolation en grande partie reflua dans la ville, apportée par une foule de malheureux villageois qui, dès les premières atteintes du mal, accouraient de tous côtés. Les lieux publics et les maisons en étaient remplis ; de cette marée grossissante la mort bien plus facilement encore faisait des monceaux de cadavres.... On ne conservait même plus dans la ville ces coutumes solennelles observées de tout temps par ce peuple pieux dans les funérailles. Il était entièrement bouleversé, et chacun, dans son chagrin, accomplissait, comme il pouvait, l'ensevelissement d'un compagnon. La soudaineté des événements et la dure misère conseillèrent alors bien des excès. Il y en avait qui, à grands cris, plaçaient leurs proches sur des bûchers dressés pour d'autres, ils y mettaient le feu et soutenaient des luttes sanglantes plutôt que d'abandonner leurs cadavres. LV Le dieu des jardins. Hunc ego, juvenes, locum, villulamque palustrem, Quercus arida, rustica conformata securi LVI Sur la mort du moineau de Lesbie. Lugete, ô Veneres, Cupidinesque, Passer mortuus est meæ puellæ, (1) Ce morceau, en tout point digne de Catulle et que d'ailleurs lui ont LV (Tome II, page 534). Jeunes gens, c'est moi qui, sous l'image de ce bois de chêne façonné par la hache grossière d'un villageois, ai donné à cet enclos et à cette chaumière rustique que couvrent les glaïeuls et les joncs entrelacés, une fécondité, une prospérité toujours croissante. Les maîtres de cette humble maison, le père et le fils, me rendent un culte assidu et me révèrent comme leur dieu protecteur; l'un ne cesse de veiller à ce que les ronces et les mauvaises herbes n'envahissent pas mon petit sanctuaire; l'autre, d'une main libérale, m'apporte constamment de petites offrandes, il me couronne de brillantes prémices du printemps fleuri et d'épis naissants à la pointe encore verte, puis de violettes aux couleurs foncées, de pavots jaunissants, de courges d'un vert pâle, et de pommes au suave parfum, puis de raisins formés et rougis à l'ombre des pampres. Parfois même mon autel (mais n'en dites rien !) s'est teint du sang du jeune bouc à la barbe naissante ou de celui de la chèvre aux pieds de corne. Pour prix de leurs honneurs, Priape doit protéger tout ceci, défendre leur petit jardin et leur vigne. Ainsi donc, jeunes garçons, gardez-vous d'y commettre aucun larcin. Tout près d'ici demeure un voisin riche avec un Priape négligent. C'est là qu'il faut prendre, ce sentier vous y con duira tout droit. LVI (Tom. II, p. 543.) Pleurez, Grâces, Amours, et vous tous qui parmi les mortels possédez le charme de la beauté. Il est mort, le moineau de ma jeune amie, le moineau, délices de ma Lesbie, lui qu'elle aimait plus que ses yeux. Il avait pour elle des attribué Muret, Scaliger, Vossius et un grand nombre d'éditeurs, n'est peutêtre pas de lui. Nam mellitus erat suamque norat Catul., Carm., 31. LVII Catulle implore du ciel l'oubli de l'amour qui fait son tourment. Si qua recordanti benefacta priora voluptas Est homini, quum se cogitat esse pium, Nec sanctam violasse fidem, nec fœdere in ullo Ex hoc ingrato gaudia amore tibi. Nam quæcumque homines bene quoiquam aut dicere pos Aut facere, hæc a te dictaque factaque sunt; Quin te animo obfirmas, teque istine usque reducis, sunt (1) Dans les morceaux que je donne ici de Catulle, je ne m'écarte guère du texte qu'a suivi M. Rostand pour sa traduction en vers qu'on prendra plaisir caresses douces comme le miel, et il la reconnaissait comme une enfant reconnaît sa mère; jamais de son sein il ne s'éloignait; mais, sautillant deci delà tout autour d'elle, à sa maîtresse seule il gazouillait. Et voilà qu'il s'en va par le chemin ténébreux là-bas d'où nul, dit-on, ne revient jamais. Soyez maudites, méchantes ténèbres de l'Orcus, qui engloutissez tout ce qui est beau. Un moineau si charmant, nous l'avoir ravi! O malheur! O pauvre petit! c'est à cause de toi que ma jeune amie verse des larmes qui gonflent et rougissent maintenant ses yeux adorés! LVII (Tom. II,p. 549.) S'il y a quelque douceur pour l'homme à se rappeler le bien qu'il a fait autrefois, à se dire que, toujours honnête, il n'a jamais violé la sainteté du serment, que dans aucun traité, pour tromper ses semblables, il n'a abusé du nom des dieux, ta vieillesse, ô Catulle, te réserve bien des joies au souvenir d'un amour si mal récompensé! Tout ce qu'un homme peut dire ou peut faire, tu l'as dit et tu l'as fait, le tout en vain, prodigué à un cœur ingrat. Pourquoi donc te tourmenter plus longtemps? Que n'affermis-tu ton âme, que ne te soustrais-tu à ton tourment et ne cesses-tu, quand les dieux sont contraires à ton amour, de faire toimème ton malheur? Il est difficile de renoncer tout à coup à un long amour, oui, très difficile; et cependant, à tout prix, il le faut. Là seulement est le salut, là est la victoire à remporter; possible ou non, remporte-la. O dieux, si quelque pitié est en vous, si vous avez jamais porté secours à lire. Cf. C. Valeri Catulli liber, Les poésies de Catulle, traduction en vers français par Eug. Rostand, texte revu par E. Benoist et Em. Thomas, Paris, Hachette, 1879-1890, 2 vol. in-8. |