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Bossuet commence ainsi la préface de son Histoire des variations: « Si les protestants savaient à fond comment s'est formée leur religion; avec combien de variations et avec quelle inconstance leurs confessions de foi ont été dressées; comment ils se sont séparés premièrement de nous, puis entre eux; par combien de subtilités, de détours et d'équivoques ils ont tâché de réparer leurs divisions et de rassembler les membres épars de leur Réforme désunie: cette Réforme, dont ils se vantent, ne les contenterait guère; et, pour dire franchement ce que je pense, elle ne leur inspirerait que du mépris. »

Le point de départ de toute l'hérésie de Luther est sa doctrine sur la justification. Ce fut sa première erreur, et son esprit en était déjà possédé alors qu'il était encore dans son couvent des Augustins à Wittemberg. Luther s'était fait religieux par une résolution subite, née d'une grande frayeur. Un jour qu'il conversait avec un ami, il vit tout à coup son interlocuteur tomber mort à ses côtés. Ce coup terrible lui causa une telle commotion qu'il ne trouvait plus de repos que dans la pensée d'aller s'enfermer au couvent, pour se préparer à la mort. Cette vocation n'était pas étudiée; il est probable que cet homme au tempérament ardent n'était pas fait pour la vie et les sacrifices du cloître. Mais, habitué déjà à tout entreprendre avec une vigueur extrême, il persista dans ces premières impressions d'une âme frappée ; il devint prêtre et moine.

Bientôt, il s'impatienta des devoirs contractés. La règle lui devint à charge. L'imagination l'égarait. La conscience était troublée. Il soutint d'abord avec énergie ce combat intérieur. Puis il y succombait et cherchait alors de bonne foi s'il n'y aurait pas quelque

accommodement avec la loi sainte, si le salut ne pouvait pas se faire à de plus douces conditions que celles de la doctrine catholique professée depuis quinze siècles.

C'est ainsi que lui vint à l'esprit sa doctrine sur la justification. Les linéaments essentiels en étaient arrêtés dès 1515 ou 1516; l'histoire en fournit les preuves. Ce n'est donc pas, comme on le dit communément, la prédication des indulgences qui détermina la révolte de Luther; elle ne fut que l'occasion d'afficher définitivement une erreur toute formée dans son esprit, depuis quelques années, et dont il avait déjà laissé entrevoir les traces inquiétantes dans ses prédications ordinaires à Wittemberg.

Il proclame donc son grand principe : La foi seule justifie. Croyez et faites tout ce que vous voudrez. Pour le soutenir, il n'est sorte d'affirmations audacieuses qui ne soient devenues familières à sa langue et à sa plume; par exemple : « Il n'est scandale plus grand, plus dangereux, plus venimeux, que la bonne vie extérieure manifestée par les bonnes œuvres et une conduite pieuse. C'est la porte cochère et la grande route qui mènent à la damnation... Gardez-vous donc surtout de vous confier en vos œuvres. Car le meurtre, le vol, la rapine ne sont pas des péchés aussi grands que de vouloir pénétrer dans le ciel avec les œuvres '. » Luther rencontra, il est vrai, des contradicteurs parmi ses adeptes; mais la querelle se termina par un supplice analogue à celui de Michel Servet: Funk, l'un des principaux opposants, fut condamné et exécuté le

1 Cité par DOELLINGER, la Réforme et les réformateurs. (Paris, Ga ume.)

26 octobre 1566 à Koenigsberg, en présence de tout le peuple qui chantait des cantiques '.

Les conséquences d'une telle doctrine ne tardèrent pas à se faire sentir dans les masses populaires. Les documents historiques de l'époque conservent l'effrayant tableau de la démoralisation qui se déchaîna et qui épouvantait Luther lui-même. Au lieu de se frapper la poitrine et de se reconnaître le premier auteur de tout ce mal, il en accusait tout le monde et se répandait en invectives contre les prédicateurs et les chefs du pouvoir civil ou plus simplement contre le diable. Voici le portrait général qu'il nous trace des réformés; je le choisis parmi ceux qui sont écrits dans les termes les plus modérés, car on ne peut

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1 La doctrine du salut par la foi seule est depuis longtemps abandonnée et condamnée par la partie la plus intelligente des théologiens protestants. Luther avait falsifié le texte de saint Paul, qui dit que nous sommes justifiés par la foi, en y ajoutant le mot seule : « par la foi seule et il supprimait l'épître de saint Jacques, où la nécessité des œuvres est si magnifiquement établie. Vinet a consacré l'une de ses Études évangéliques à montrer l'accord parfait qui existe entre la doctrine de saint Paul et celle de saint Jacques. Il appelle les partisans attardés de Luther les pharisiens de la foi. Qu'importe, ajoute-t-il, que saint Jacques ait l'air de prendre le contre-pied de saint Paul, lorsqu'il dit : « Vous voyez donc que l'homme est justifié par les œuvres

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et non par la foi seulement. » Saint Paul aurait souscrit à cette sentence, dans le sens que saint Jacques lui donne, car elle signifie que l'homme ne peut être justifié par une foi que les œuvres n'accompagnent pas, ne légitiment pas, par une foi dont l'absence des œuvres proclame la fausseté....... Laissons donc ces deux apôtres combattre dans un même esprit des erreurs opposées et faire face à deux pharisaïsmes: saint Paul à celui de la loi, saint Jacques à celui de la foi.» (Nouvelles Études évangéliques, 2o édit., p. 295.) - Dans la doctrine et la pratique de l'Église catholique, il n'existe aucun pharisaïsme de la loi, mais la juste alliance des œuvres et de la foi, qui sont les deux ailes de l'âme pour s'élever à Dieu.

pas citer au hasard l'auteur des Propos de table:

« A l'exception de quelques personnes qui ont reçu l'Évangile sérieusement et avec reconnaissance, tout le reste est si ingrat, si insolent et se conduit, en général, de telle manière, qu'il semblerait vraiment que Dieu ne nous ait donné sa sainte parole que pour nous délivrer du papisme et de sa servitude diabolique, et pour nous procurer le moyen d'agir en toutes choses librement et suivant notre bon plaisir.

« Il se verra finalement que ceux qui devraient être de parfaits chrétiens, parce qu'ils ont reçu l'Évangile, sont, au contraire, plus corrompus et moins miséricordieux qu'ils ne l'étaient avant d'avoir été dotés de ce code divin. Autrefois, tandis qu'on était encore dans les erreurs du papisme, s'agissait-il de faire quelque bonne œuvre? tout le monde était prêt et plein de bon vouloir; maintenant, au contraire, on ne songe qu'à thésauriser, qu'à liarder, qu'à voler, qu'à dérober le bien d'autrui par le mensonge, la tromperie, l'usure, et l'on se comporte vis-à-vis du prochain comme si l'on avait affaire, non à un frère en Jésus-Christ, mais à un mortel ennemi, comme si l'on voulait tout attirer à soi et tout avoir pour soi. Telles sont aujourd'hui les mœurs, tel est l'usage général, chez les princes, les nobles, comme chez les bourgeois et les gens de la campagne'. >>

La vue de ces tristes résultats ne laissait pas de mettre à la torture l'esprit du réformateur. Il a livré les secrets de son âme sur ce point. « Quand le diable, dit-il, me trouve oisif, ne m'occupant point de la parole

1 Cité par DOELLINGER, la Réforme et les réformateurs, t. III,

p. 242.

de Dieu, il me suscite des scrupules de conscience, comme si j'eusse enseigné l'erreur et détruit l'autorité, vu qu'il est sorti de ma doctrine tant de scandales et de rébellions.

« Souvent le diable arrive et me reproche que ma doctrine a été la source de tant de scandale et de mal. Quelquefois, vraiment, il me serre de près, me maltraite rudement, et me jette dans la frayeur et les angoisses! Et, bien que je réponde qu'il en est aussi sorti beaucoup de bien, il s'entend merveilleusement à me faire voir le contraire. » « Je fonde ma cause sur l'Évangile; Dieu me garde de me rétracter. Mais pourtant le diable, avec ses argumentations, m'y pousse souvent avec une telle force qu'il me prend une sueur d'angoisse.

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C'est dans ces moments de violente agitation que Luther se répand en torrents d'injures contre le Pape et l'Église. « Injurions toujours, dit-il, et particulièrement quand le diable vient vous attaquer sur la justification'. >>

Le ton de la polémique de Luther a été pour beaucoup dans son succès populaire. Rien d'aussi inouï ne se trouve dans le domaine entier de la littérature et de l'histoire religieuses.

Ses apologistes ont essayé de le disculper en rejetant la faute sur le compte du temps où il vivait. Excuse insuffisante. Dollinger entrevoit une cause plus vraie dans l'individualité même de Luther.

« Il est aisé de voir, dit-il, que toute la disposition de son esprit le poussait à interpréter dans le sens le plus odieux tout ce qui, dans l'ancienne Église, prêtait

1 La Réforme et les réformateurs, t. III, p. 242.

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